La lutte des titans : Yukos porte un coup à l'Etat

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MOSCOU, 20 septembre - RIA-Novosti. Nina Koulikova, commentatrice économique. La lutte entre le pouvoir et les propriétaires de Yukos se poursuit. Les parties en présence n'en finissent de trouver les moyens de faire pression l'une sur l'autre.

Il est devenu clair ces derniers temps que l'Etat tente de procéder à l'aliénation de Yougansneftegaz - principale unité de production de Yukos - de ses propriétaires actuels. Et, pour parvenir à cet objectif, les autorités en appellent à la législation pénale : la société mère fait l'objet de nouvelles réclamations de la part du fisc et du ministère des Ressources naturelles.

Le 17 septembre, l'Arbitrage de Moscou n'a pas donné suite à la demande de la compagnie de reconnaître illicites les actes du Service des huissiers de justice qui avait pratiqué une saisie-arrêt sur les actions de 24 filiales de Yukos. La perspective d'une révocation, par le ministère des Ressources naturelles, de la licence d'exploitation des sous-sols de Youganskneftegaz - la compagnie a déjà près de 3,5 milliards de roubles d'arriérés d'impôt et cette somme ne cesse d'augmenter - représente une autre menace substantielle. De l'avis des experts du ministère, cela constitue un argument suffisant en faveur de la révocation de la licence (cette condition est prévue par des accords correspondants).

D'autre part, Yukos s'est trouvé menacé par des restrictions de livraisons d'électricité. Youganskneftegaz, sa filiale, doit 50 millions de roubles à ses fournisseurs, a déclaré, à la fin de la semaine dernière, la compagnie énergétique sibérienne Tioumenenergo. La plus grosse compagnie de production de Yukos est donc menacée de coupures.

Le management de Yukos ne reste pas les bras croisés et tente de riposter activement à l'offensive de l'Etat.

Premièrement, s'appuyant sur ses actionnaires minoritaires, la compagnie s'adresse constamment à ses investisseurs occidentaux pour trouver une issue à l'impasse fiscale. Bruce Mizamor, directeur financier de Yukos, a déclaré au cours de la conférence internet le 17 septembre, que la compagnie évite encore de faire faillite et que, malgré certaines difficultés, elle continue d'honorer ses engagements. La compagnie, a-t-il dit, "a assez de moyens pour rembourser ses dettes, mais il lui faut un rééchelonnement de ces dettes". Le directeur financier a souligné d'autre part que les partenaires de Yukos restent fidèles à la compagnie, qu'ils lui apportent leur soutien et que la compagnie couvre les frais de transport de son pétrole en octobre grâce aux sommes versées d'avance par ses clients.

Yukos tente aussi de contrecarrer les tentatives des autorités de réduire le coût de Youganskneftegaz. Aux termes d'un communiqué de presse qui a vu le jour le 17 septembre, des études menées en Sibérie occidentale avaient permis de revoir à la hausse les évaluations des ressources exploitables de Youganskneftegaz. Cette annonce a immédiatement provoqué une remontée des actions de Yukos. Selon ces études, les ressources exploitables de Youganskneftegaz constituent actuellement 12,8 milliards de tonnes, doit 10,1 milliards de tonnes de plus que les réserves probables et prouvées de l'entreprise pour fin 2003 (2,7 milliards de tonnes). Si ces chiffres sont confirmés par des contrôleurs financiers indépendants, l'évaluation de la filiale de Yukos par la banque Dresdner Kleinwort Wasserstein pourrait être revue à la hausse.

Une récente décision de Yukos témoigne aussi du sérieux du problème relatif à la révocation éventuelle de licence dont est menacée sa filiale Youanskneftegaz. A partir du 28 septembre, la compagnie projette de suspendre partiellement ses livraisons de brut par rail en Chine suite à la saisie-arrêt, pratiquée par les organes du fisc, de ses comptes. Cette décision a été prise, disent les managers de la compagnie, en raison de la limitation de l'accès aux comptes de l'entreprise. Avant la fin de l'année, Yukos doit livrer en Chine encore1 million de tonnes de pétrole. Le Conseil des directeurs de Yukos explique la décision par "les problèmes liés à la couverture des taxes à l'exportation et des taxes ferroviaires".

L'annonce de l'arrêt projeté des livraisons en Chine n'a pas provoqué de réaction négative sur le marché des valeurs. Mais, du point de vue politique, c'est un coup très fort. A ce jour, Yukos est pratiquement l'unique fournisseur de pétrole russe en Chine et il sera difficile de lui trouver un "remplaçant". L'arrêt des livraisons serait un non-respect d'un contrat privé, mais ce serait bien un ultimatum qu'on présente au pouvoir en jouant sur les intérêts internationaux de la Russie (les livraisons en Chine sont réalisées en vertu d'un accord intergouvernemental).

La compagnie projette de relancer les exportations dans les meilleurs délais, mais espère que "le gouvernement russe se rend bien compte de la portée que revêtent les livraisons de pétrole russe sur les marchés internationaux et que, de ce fait, il prendra les mesures pour garantir la continuité des livraisons de pétrole à nos partenaires chinois".

Le 24 septembre, le premier ministre chinois, Wen Jiabao, entame une visite en Russie. Les questions de coopération énergétique seront notamment débattues. Les livraisons stables de pétrole russe sont d'une grande importance pour la Chine qui attend depuis des années la décision de Moscou sur la construction d'un oléoduc en Extrême-Orient russe. La semaine dernière, l'ambassadeur chinois à Moscou, Liu Guchang, se disait certain que les partenaires russes respecteraient le plan de livraisons de pétrole. Quant aux fonctionnaires russes, ils déclaraient, fin août, qu'il n'y aurait pas de problèmes avec les fournitures. Au cours de cette visite, les deux pays devraient signer les accords prévoyant une augmentation des exportations de pétrole russe et des accords finals sur l'adhésion russe à l'Organisation mondiale du commerce.

Sur ce fond - les récentes déclarations de l'ambassadeur chinois, la prochaine visite du premier ministre de la République populaire et le lancement d'un nouveau round des négociations russo-chinoises sur l'adhésion de Moscou à l'OMC - la déclaration de Yukos sur l'arrêt des livraisons en Chine s'annonce comme un coup astucieux visant à faire pression sur le pouvoir dans le différend fiscal.

De l'avis des analystes, c'est un jeu de position mais un jeu très risqué. Le gouvernement a deux solutions. La première : faire des concessions à Yukos pour garantir les activités de production de la société sous peine de tensions commerciales avec la Chine. Mais cela, compte tenu du dialogue précédent des parties, très tendu, est peu probable. La seconde : révoquer la licence auprès de Youganskneftegaz, malgré les remous que cette décision pourrait provoquer auprès des investisseurs.

Prochainement, on connaîtra la réponse du gouvernement qui s'efforce de garantir la légitimité à l'aliénation de la propriété de Yukos.

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