Le Président Poutine va-t-il gracier le criminel de guerre Boudanov?

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MOSCOU. (Commentateur de RIA-Novosti Boris Kaïmakov). L'ancien commandant de la 58-ème Armée du Caucase et actuel gouverneur de la région d'Oulianovsk (Volga), le général Vladimir Chamanov, a signé la demande de grâce de son ancien subalterne, le colonel Youri Boudanov. Cette demande a été envoyée, comme il se doit, au Chef des Armées et Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. En tant que gouverneur, Vladimir Chamanov est tout à fait en droit d'intercéder auprès du chef de l'Etat pour faire gracier n'importe quel criminel qui purge sa peine sur le territoire de sa région.

En juillet 2003, le colonel Boudanov avait été condamné à dix ans de prison ferme et privé, sur le coup, de toutes ses décorations d'officier. A l'époque le Tribunal de la Région militaire du Nord Caucase avait reconnu le commandant d'un régiment de blindés, le colonel Youri Boudanov, coupable d'homicide sur la personne de la jeune fille tchétchène, Elza Koungaïeva. Ce procès judiciaire qui avait pris deux longues années avait provoqué une division au sein de l'armée en campagne en Tchétchénie, mais aussi et surtout dans toute la société en Russie. Qui plus est, nombreux étaient ces officiers russes qui évaluaient tout simplement ledit procès comme une tentative pure et simple du pouvoir en place de rejeter sur les militaires toute la responsabilité pour ces justices sommaires, sans jugement ni enquête, qui avaient eu lieu en Tchétchénie. Elza Koungaïeva était justement tombée victime d'une telle justice sommaire. Youri Boudanov l'avait emmenée de chez elle et étranglée de ses propres mains. Ce n'est que beaucoup plus tard que l'on a appris les affirmations du colonel Boudanov que cette jeune Tchétchène était sniper, alors qu'au début, il n'avait été question que d'un viol de la jeune fille. Et c'est justement cela qui avait indigné à l'époque Anatoli Kvachnine, alors chef de l'Etat-major général des Forces Armées de la Fédération de Russie. Comme résultat, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, avait exigé qu'une enquête la plus détaillée et profonde soit ouverte sur cet incident.

On aurait dit à l'époque que le procès de Youri Boudanov serait rapide, sinon expéditif. Quoi qu'il en soit, il s'était vite avéré que le processus allait revêtir un caractère politique. Les militaires ne mâchaient pas leurs mots, en disant notamment qu'il était bel et bien impossible de mener une guerre efficace contre les terroristes dans le Nord Caucase sans frapper de représailles tous ceux qui épaulaient ces bandits. Force est de reconnaître que le cas de Boudanov est plutôt exceptionnel. Pourtant, il est officier de combat et cavalier de l'Ordre du Courage. Tels étaient, entre autres, les arguments invoqués par les fervents défenseurs de Youri Boudanov.

A travers toute la Russie, des organisations patriotiques ont surgi qui s'assignaient pour objectif d'obtenir la remise en liberté de Youri Boudanov. Pire, il est devenu tout à fait évident qu'en reconnaissant le colonel Boudanov criminel de guerre, on pourrait bien déclencher, au sein de la société, une critique très sérieuse du pouvoir et surtout de la part de ses couches les plus radicales. Le mythe éternel sur un "couteau dans le dos" de l'armée en campagne s'était fait entendre haut et fort. Mais si auparavant les causes des revers essuyés par l'armée au Caucase avaient été attribuées au général Lebed, ayant trouvé la mort dans une catastrophe aérienne, parce que le général avait signé, à la veille des présidentielles, les accords de paix à Khassaviourt, maintenant c'est le nom de Vladimir Poutine qui était en jeu. C'est que l'actuel Président russe a justement déclaré une guerre intransigeante au terrorisme dans le Nord Caucase et ne cessait de le souligner à chaque fois que l'occasion s'en présentait. Qui plus est, la cote de popularité parfaitement extraordinaire de Vladimir Poutine et même son élection au poste de Président sont associés, et sans doute non sans raison, à sa politique très ferme en vue de sauvegarder l'intégrité de l'Etat face à la menace du séparatisme dans le Caucase.

Aussi, la justice russe s'est-elle retrouvée face à la nécessité de porter un jugement qui n'était ni simple ni facile. D'une part, il était parfaitement évident que des preuves de la culpabilité du colonel Boudanov ne manquaient pas, loin de là! De l'autre, la cour ne pouvait pas, non plus, ignorer les dessous manifestement politiques du procès. Néanmoins, le juge militaire avait alors prononcé une sentence de culpabilité. Ce jugement était sévère car il portait sur le sort d'un officier de combat. Pourtant, ce verdict réaffirmait la priorité de la loi, soit sa supériorité face à d'éventuels avantages politiques et la morale des milieux militaires.

Le Kremlin n'avait pas tardé à réagir à la condamnation de Boudanov. Sergueï Iastrjembski, conseiller du chef de l'Etat, avait déclaré: "C'est la bonne décision. Le Tribunal a fait preuve de courage et de fermeté".

Or, le conseiller du Président s'était alors expliqué également devant l'armée russe, en disant en substance: "Ce n'est guère un coup contre l'armée russe. Par contre, cela fait l'honneur à l'armée russe... C'est que l'armée se débarrasse des hommes qui avaient sali la tenue militaire".

Le fait même que l'ancien colonel Boudanov est en train de purger sa peine sur le territoire de la région d'Oulianovsk ne paraît plus aujourd'hui un simple effet du hasard, loin s'en faut. Déjà au cours du procès, le général Chamanov avait énergiquement défendu son ancien subalterne - commandant d'une unité de blindés. Bien plus, le général avait fait tout son possible pour que Youri Boudanov purge sa peine dans la ville de Dimitrovgrad. Et voilà que maintenant, en profitant de la situation à la suite de la tragédie de Beslan, Vladimir Chamanov a fait, enfin, ce que les adversaires de la condamnation de Boudanov avaient attendu de lui depuis longtemps. Le général a signé la demande de grâce de Youri Boudanov et l'a envoyée au Président Vladimir Poutine.

Le chef de l'Etat est mis dans une situation difficile. S'il accède à cette demande de grâce, signée par le gouverneur, cela va signifier que le Kremlin a fini par céder sous pressions de cette partie des militaires qui réclament la totale liberté d'action pour mener la campagne antiterroriste dans le Caucase. Ce sont justement ces militaires qui ne font pas que demander de gracier Boudanov, mais réclament aussi que ce dernier soit rétabli dans son grade de colonel et qu'on lui restitue toutes ses décorations militaires. D'autre part, Vladimir Poutine doit tenir compte de la réaction à sa décision de ces habitants de la Tchétchénie qui le considèrent toujours comme garant de la justice et du droit dans le pays. Sachant que Vladimir Poutine ne satisfait que très rarement de telles demandes, on a tout lieu de supposer que la démarche de Vladimir Chamanov, dont le mandat de gouverneur touche déjà à sa fin, ne serait justement considérée que comme une simple démarche et rien de plus.

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