Le terrorisme au sud de la Russie et l'internationale terroriste

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Par Alexandre Charavine, directeur de l'Institut des analyses politiques et militaires (IPVA)

Il n'y a pas longtemps le président des Etats-Unis George W.Bush déclarait que le terrorisme était invincible. C'est malheureusement vrai. Il est impossible de l'éradiquer, tout comme la criminalité en général. Mais l'humanité éprise de paix a les moyens de l'affaiblir sensiblement.

Comment faire face au terrorisme ? Une approche est assez répandue actuellement en Europe, surtout parmi les opinions publiques européennes. L'Espagne en a fait une démonstration convaincante. Elle se ramène à se sécuriser soi-même en s'inclinant devant toutes les exigences des terroristes. Amadoués, ils ne nous toucheront pas. Pourtant l'Europe devrait se souvenir des tentatives de "pacification d'un agresseur" à Munich à la fin des années 1930. Elles lui ont seulement délié les mains. Aujourd'hui également nous voyons sur l'exemple de la France que s'être opposé avec énergie à la guerre contre l'Irak ne suffit pas pour acheter la paix. Le terrorisme actuel (tout comme d'ailleurs Hitler à son époque) n'a pas besoin de compromis. Il mène une guerre d'extermination contre notre civilisation. Par conséquent, nous devons lui faire une guerre d'extermination. Même si la victoire totale et définitive est inaccessible.

En Russie aussi les hommes "penchés pour la protection des droits de l'homme" ne se lassent pas d'appeler les autorités à ouvrir des négociations avec les "rebelles". On dirait qu'ils ont oublié les négociations qui avaient déjà eu lieu à plusieurs reprises et cela à une époque où, à la différence de la situation actuelle, la Tchétchénie avait des négociateurs plus légitimes et plus juridiquement capables, de même qu'un objet de négociation plus réel pour eux. Il y a eu même des accords. Et alors ? La situation s'est-elle améliorée ? On sait que l'affaire a dégénéré en une criminalisation totale du régime qui a même entrepris une invasion du Daghestan.

Il faut comprendre que les négociations avec les terroristes ne peuvent pas, en principe, être utiles. Parce que les négociations sont une sorte de communication humaine. Or nous avons affaire à des êtres inhumains. Cela ne veut pas dire que nous devons utiliser leurs méthodes pour les combattre. Nous ne pouvons pas prendre des otages, envoyer des kamikazes tuer des innocents ou les décapiter tout en filmant les exécutions. Mais toutes les méthodes permises à l'homme doivent être durcies au maximum.

Il importe notamment de comprendre que l'existence d'un réseau terroriste international est un fait. Il se peut qu'il ne soit pas dirigé par un seul centre mais il a la même idéologie et possède des sources de financement et des principes d'organisation apparentés. L'une de ses particularités est l'anonymat. Il faut le détruire. Tous les Etats et toutes les entités étatiques qui apportent sous une forme ou sous une autre un soutien aux terroristes (ou même qui ferment les yeux sur leurs agissements) doivent être cités à haute voix. On peut décrire la technologie caractéristique d'implantation d'"agents de terrorisme" dans d'autres pays. D'abord, on forme des prédicateurs et des théologiens fondamentalistes qu'on envoie en mission dans un pays et qui y arrivent avec un groupe de soutien et beaucoup d'argent dans la poche. Petit à petit, un tel théologien évince le mollah du quartier dont la mosquée, centre religieux, est tout de suite transformée en un centre de formation de terroristes.

Cette technique est utilisée en Russie. Non seulement dans le Caucase du Nord mais également dans la région de la Volga. Mais les autorités laïques n'y réagissent pas, de peur de s'ingérer dans la "vie religieuse". C'est une grosse erreur. Les croyants sont citoyens de leur pays et ont l'obligation de se soumettre à sa loi même dans la mosquée. L'Etat doit contrôler la loyauté de tous ses citoyens sur tout son territoire, d'autant plus lorsqu'il s'agit de la sécurité du pays et deson existence. Là, il vaut mieux suivre l'exemple de la France où les autorités ont eu le courage de faire respecter la Constitution de l'Etat laïc.

Certes, les activités des terroristes ont leur spécificité et leur nuance dans chaque pays concret. Peut-on affirmer qu'en Russie ces forces se renforcent aujourd'hui ? Les dernières actions des terroristes à Moscou, dans le ciel et au Caucase ne sont pas des témoignages de leur renforcement. C'est le soutien de la population qui est un critère important du succès des terroristes. De ce point de vue, en Tchétchénie, dans ce foyer de terrorisme "russe", la situation n'est pas sans équivoque. Nul doute, il y a là des gens qui soutiennent les terroristes. Mais tous ne le font pas pour des "considérations idéologiques". Il en est qui ont des parents parmi les terroristes ou qui ont peur ou qui se sont laisser acheter. D'ailleurs le mouvement terroriste a beaucoup changé depuis ces dernières années. Si, au début, il s'est formé sous le mot d'ordre de la "lutte de libération" et attirait réellement la population locale, cet objectif a été oublié avec le temps. Par contre, on a compris que dans cette république tout ce qu'il était possible de détruire était détruit : la production, l'enseignement, la santé publique, toute apparence d'un droit, et le peuple était poussé vers la sauvagerie totale. La "base du soutien" diminuait en conséquence. A preuve, l'augmentation du nombre de mercenaires dans les rangs des terroristes. Aujourd'hui, en fait, on assiste à un changement de mots d'ordre, à l'internationalisation idéologique, et en même temps financière et organisationnelle, du conflit tchétchène. Il s'inscrit de plus en plus dans le contexte d'une guerre mondiale contre la civilisation euro-atlantique. Autant dire que le conflit change de qualité sans prendre une plus grande dimension.

Que la Russie doit-elle faire dans cette situation ? Les tentatives faites en vue de "s'amputer" de la Tchétchénie et de l'oublier sont vouées à l'échec. Elle se signalerait dans ce cas. Après l'échec des accords de Khassaviourt cela doit être évident pour tout le monde.

Il faut comprendre qu'il n'y a pas de méthode miraculeuse de résoudre le problème tchétchène. Peut-être plus d'une dizaine d'années doivent se passer avant que la vie se normalise en Tchétchénie. Il faut qu'une nouvelle génération apparaisse, celle de jeunes gens qui habiteraient des maisons traditionnelles, qui fréquenteraient l'école et feraient leurs devoirs à domicile pendant que leurs parents seraient au travail, qui parleraient russe, voyageraient et connaîtraient d'autres contrées de son pays qu'est la Russie et non pas seulement le village de montagne où ils sont nés.

Tout cela demande des mesures complexes - politiques, économiques, sociales, culturelles et d'autres. Plus des mesures musclées, obligatoirement. Pour le moment, on n'est pas sûr qu'en Tchétchénie tous les vieillards touchent leur retraite, que les médecins et les médicaments ne manquent pas dans les hôpitaux, que tous ceux qui ont perdu leur maison aient été indemnisés et que l'organisation d'actions de force soit d'un niveau convenable.

Ce qu'il ne faut absolument pas faire, à mon avis, c'est d'accorder des privilèges et des avantages aux leaders tchétchènes. Comme il n'y a pas de citoyenneté et de souveraineté tchétchènes, il ne doit pas y avoir de droits exclusifs sur les revenus des richesses du sous-sol. Cela mènerait dans la direction diamétralement contraire à celle de l'objectif voulu et déclaré, à l'isolement de la Tchétchénie au lieu de son intégration.

Les derniers actes de terrorisme commis à Moscou et en Ossétie du Nord rappellent une particularité de la mentalité humaine. Un homme normal ne peut pas rester infiniment dans un état de vigilance permanente, l'instinct de protection demande à se défaire de la tension nerveuse. C'est normal mais, malheureusement, cela ne nous est pas trop permis aujourd'hui. Aujourd'hui la lutte contre le terrorisme ne saurait être l'affaire des seuls services secrets. Chaque homme doit porter en lui son propre "centre antiterroriste".

En ce qui concerne les servies de renseignements, il ne faut pas qu'ils se considèrent comme exécutants techniques des missions reçues. Ils ont sans aucun doute des fonctions politiques et leurs dirigeants assument une responsabilité politique. Donc, en cas d'échec, ils doivent donner leur démission, même si leur faute personnelle est négligeable. Tel est l'usage dans tous les pays démocratiques et cela a une grande signification politique et même symbolique.

Et enfin l'aspect international du problème. S'il existe une "internationale terroriste", la coalition antiterroriste doit cesser d'être une déclaration de bonnes intentions pour devenir une réalité quotidienne palpable. Il est nécessaire de mettre en place des contacts directs entre les Etats, un échange d'expérience et d'information et, au besoin, une coopération directe de structures de force. Il est nécessaire de supprimer dans la pratique politique l'application des doubles critères selon lesquels un terroriste est terroriste et l'autre est combattant de la liberté d'un peuple, petit mais fier, et ne peut pas de ce fait être livré aux autorités du pays où il a pris des otages et tué à l'explosif des habitants civils.

Pour conclusion : il s'agit aujourd'hui de sauvegarder notre civilisation commune. La Russie et les pays du monde occidental peuvent et doivent s'allier dans cette guerre. Il y a soixante ans, face à un danger pareil, nous avons prouvé que nous pouvions le faire.

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