Les Russes compatissent à la douleur des Français, tout en discutant de la loi sur le voile islamique

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MOSCOU, 31 août. (Commentateur politique de RIA- Novosti, Piotr Romanov). Les récents événements tragiques en Russie - l'explosion terroriste de deux avions de ligne qui a coûté la vie à tous les passagers et membres d'équipage - n'ont fait qu'accentuer la compassion et l'angoisse des Russes pour le sort de deux journalistes français, pris en otages en Irak.

Qui plus est, cette situation est tout à fait extraordinaire en soi. En effet, pour la première fois, les membres de la résistance irakienne ne revendiquent pas le retrait des troupes d'occupation (la France ne participe à l'occupation de l'Irak, tout comme la Russie), mais une modification de la législation nationale en vigueur dans un pays étranger. Il s'agit, en l'occurrence, de cette loi qui avait été adoptée en France à l'issue des débats extrêmement houleux et interdisant le port des signes religieux ostensibles dans les écoles françaises (croix, voile ou kippa). Les chrétiens et les juifs pratiquants ont accueilli tranquillement cette loi sur la laïcité, alors que les musulmans se sont mis à défendre de toutes leurs forces le port du voile islamique.

Or, ce problème est aussi pour beaucoup actuel pour la Russie où, tout comme en France, le christianisme, le judaïsme et l'islam sont des religions traditionnelles. Et là, je voudrais vous rappeler une discussion assez récente en Russie sur la possibilité pour les femmes-musulmanes de se faire photographier pour le passeport, en portant le voile. A l'époque, en dépit de la réaction catégoriquement négative des structures de force, la tolérance a fini par triompher dans la société russe. Autrement dit, la femme musulmane a gagné le procès, en faisant valoir ses droits légitimes de protester auprès des organes judiciaires.

En France, cependant, au cours de l'examen de la loi sur les signes religieux, la tolérance a été interprétée un peu autrement, et avant tout comme "laïcité" (dans les écoles laïques) jusqu'à la coiffure. Quoi qu'il en soit, ce point de vue a, lui aussi, ses raisons d'exister.

La prise en otages des journalistes français a ranimé en Russie de nombreuses vielles discussions. Au Patriarcat de Moscou, par exemple, on condamne sans réserve la prise en otages des journalistes français, tout en critiquant la loi sur la laïcité. "Aucun objectif politique ne peut être obtenu par des méthodes extrémistes, ces gens doivent relâcher immédiatement les otages et essayer de régler le problème dans le cadre d'un dialogue pacifique, comme cela a été justement fait jusqu'ici par les musulmans en France", a déclaré le porte-parole du Patriarcat de Moscou, l'archiprêtre Vsevolod Tchapline. Et d'ajouter qu'il est, cependant, absolument incorrect d'exiger la mise en application des règles qui excluent catégoriquement toute expression de la conscience religieuse publique. Autrement dit, l'Eglise orthodoxe russe est pour que l'on puisse porter croix, kippa et voile, que ce soit dans la rue ou à l'école.

Néanmoins, Alexandre Asmolov, membre-correspondant de l'Académie d'Education de Russie, a une toute autre prise de position qui est plutôt "pro-française". Il fait remarquer notamment: "Tant en Europe, en général, qu'en Russie, en particulier, il est des organisations libérales qui contribuent à propager la tolérance dans la société. L'adoption en France d'une loi sur l'interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles laïques peut incontestablement servir d'exemple très positif en ce sens. C'est que dans une situation de tension sociale, la kippa ou le voile peuvent devenir un puissant facteur pouvant tout bonnement troubler la tranquillité publique. Pour tous ceux qui respectent les traditions, il existe toujours des écoles religieuses. Il est tout simplement impossible aujourd'hui d'insister sur les différences religieuses dans les écoles laïques".

Les Français ont aujourd'hui devant eux un choix des plus difficiles à faire s'ils en ont un. Gueorgui Mirski, professeur à l'Institut de l'Economie mondiale et des Relations internationales (IMEMO), souligne: "La France s'est retrouvée à présent dans une situation très difficile. D'une part, elle ne peut évidemment pas céder au chantage d'une bande de terroristes en Irak et d'autant plus sur la question qui ne relève que de sa compétence intérieure. Et à plus forte raison qu'une concession de sa part ne ferait qu'encourager l'internationale islamique. De l'autre, elle frémit sans doute à la pensée que les têtes pourraient être coupées à des journalistes français innocents. Dans une telle éventualité, les discussions du fait que la France a sacrifié ses deux citoyens au profit des voiles quelconques seraient inévitables. Et enfin, il ne serait pas du tout facile ni simple de délivrer les journalistes. C'est que le monde musulman et la résistance en Irak sont loin d'être unies. En outre, la fameuse internationale islamique est un réseau extrêmement ramifié. Il n'y est tout simplement pas d'état-major général unique. Ainsi, bien des leaders et organisations islamiques ont le plus catégoriquement condamné la prise en otages des journalistes français, mais il est à savoir à qui obéissent directement les exécutants immédiats de ce kidnapping".

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