Il y a dix ans l'armée russe se retirait d'Allemagne

© RIA NovostiLa Russie retire ses troupes d'Allemagne, 1994 (Archives)
La Russie retire ses troupes d'Allemagne, 1994 (Archives) - Sputnik Afrique
S'abonner
Il y a dix ans, le 31 août 1994, l'armée russe quittait l'Allemagne et en même temps toute l'Europe centrale.

Il y a dix ans, le 31 août 1994, l'armée russe quittait l'Allemagne et en même temps toute l'Europe centrale.

A l'époque un redéploiement de troupes d'une ampleur et d'une rapidité sans précédent avait eu lieu. Pendant près d'un demi-siècle, de 1945 à 1994, l'URSS et ensuite la Russie avaient maintenu sur le territoire de l'Allemagne de l'Est leur groupement de troupes le plus puissant.

Le Groupe de troupes occidental - c'est ainsi que le groupement s'appelait - alignait 62 missiles tactiques opérationnels et 90 missiles tactiques de 500 kilomètres de portée, 7.900 chars, principalement des T-80U, capables d'atteindre la Manche en vingt-quatre heures, 7.537 transporteurs de troupe blindés (BMP-1 et BMP-2, BTR-60 et BTR-80), 4.414 pièces d'artillerie, dont des canons de gros calibre (de plus de 100 mm), 940 avions de combat (chasseurs, avions d'assaut et bombardiers) et 785 hélicoptères de transport de troupe et d'attaque. Il y avait aussi 17 sous-marins et 227 bâtiments de guerre de surface. Pour ce qui est des effectifs, ils se montaient à 351.274 hommes, ce qui fait 1,2 million de personnes compte tenu des membres des familles.

Dans aucun pays au monde une telle quantité de personnes n'avait changé d'adresse en l'espace de trois ou quatre ans.

Et si l'on se souvient que, pratiquement simultanément, la Russie avait évacué ses troupes de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Hongrie, de Mongolie, de Cuba, de Moldavie, de Lituanie, de Lettonie, d'Estonie et des républiques de Transcaucasie - au total un million et demi de tonnes de munitions, 759.057 militaires, 98 missiles tactiques opérationnels, 162 missiles tactiques, 13.214 chars, 18.305 véhicules blindés, 9.668 pièces d'artillerie, 2.722 avions et 1.844 hélicoptères - on imagine aisément quelle masse de militaires et de matériels de guerre est rentrée au pays où pratiquement rien n'avait été préparé pour les accueillir. Et les problèmes actuels auxquels l'armée russe est confrontée aujourd'hui - 165.000 officiers et officiers subalternes, soit un sur trois, sont sans toit - remontent aussi à cette époque.

L'armée russe a laissé en territoire allemand 777 cités militaires comprenant au total 36.290 bâtiments et constructions divers, dont des maisons d'habitation modernes. Plus de 21.000 de ces ouvrages ont été réalisés avec des moyens fournis par l'Union soviétique. Les biens immobiliers du Groupe de troupes occidental sont estimés aujourd'hui par les experts à quelque 30 milliards de marks allemands. C'est d'ailleurs le chiffre que cite le dernier commandant en chef du Groupe de troupes occidental, le général de corps d'armée Matveï Bourlakov.

Il pense toujours que le retrait des troupes russes, bien que réalisé de manière planifiée, en respectant les mesures de sécurité requises avait ressemblé davantage à une débandade qu'à un redéploiement bien pensé. Ici le général rend responsable la direction supérieure de l'Union soviétique avec à sa tête Mikhaïl Gorbatchev, qui, nous citons, "avait mené une politique on ne peut plus imprévoyante et irresponsable", ainsi que le premier président russe, Boris Eltsine, qui, nous citons de nouveau, "pour faire plaisir à son ami le chancelier allemand Helmut Kohl, avait réduit de quatre mois les délais déjà serrés du retrait de nos troupes". L'ancien commandant en chef est loin d'être le seul à penser ainsi. L'opinion publique russe est toujours très divisée au sujet de ces événements vieux de dix ans. Seulement aujourd'hui, exception faite de l'extrême gauche, plus personne ne doute de la nécessité du retour en Russie de cet impressionnant groupement de troupes, qui avait été un élément et un symbole de la guerre froide, de la confrontation idéologique et politique entre le pays communiste et le monde démocratique. Il fallait en finir avec le passé résolument et irrémédiablement. Certes, la manière avec laquelle le retrait s'est effectué est critiquable. A l'époque, il aurait fallu faire preuve de davantage de sollicitude à l'égard des gens, respecter réellement les droits des militaires russes et des membres de leurs familles, qui n'étaient en aucune mesure responsables de cette politique appliquée des années durant par la direction politique supérieure de l'Union soviétique.

La République Fédérale d'Allemagne (RFA) a alloué 7,8 milliards de marks à la construction en URSS de logements pour les familles des militaires du Groupe de troupes occidental retirés du territoire de l'ancienne République Démocratique Allemande (RDA). Cet argent devait servir à la réalisation de 72.000 appartements avec leur infrastructure: magasins, jardins d'enfants, écoles, salles de sport, établissements de soins, cinémas et même studios de télévision. Et aussi à la construction dans les régions de Moscou, de Leningrad et de Pskov de quatre usines de préfabrication de maisons d'une capacité annuelle de 100.000 mètres carrés de logement. Cinquante pour cent des travaux devaient être réalisés par des entreprises allemandes, yougoslaves, bulgares, coréennes, turques et autres firmes ayant remporté les appels d'offres. Hélas, les dirigeants du pays et les responsables militaires russes se sont avérés incapables d'utiliser raisonnablement les possibilités qui leur étaient offertes.

Les premières cités, de très bonne tenue pour l'époque, ont été mises en chantier en Ukraine. Il était prévu d'en construire dix-huit plus dix autres en Biélorussie. Il avait été décidé de déployer dans ces deux républiques deux grands groupements de troupes mais quand même moins important que le Groupe de troupes occidental. Neuf cités seulement devaient être aménagées en Russie.

Au début de l'année 1991, alors que tous ces travaux battaient leur plein, il ne serait venu à l'idée de personne au Kremlin et place de l'Arbat, là où se trouve le siège du ministère russe de la Défense, d'imaginer que dix-huit mois plus tard l'Ukraine et la Biélorussie seraient des Etats souverains et indépendants et que le gros du Groupement de troupes occidental devrait finalement être déployé en Russie. Qui plus est, personne non plus n'avait jugé bon d'envisager quelque peu l'avenir et de réfléchir à l'armée dont la Russie nouvelle avait besoin et aux missions qu'elle aurait à mener à bien. Evidemment, ce sont les simples gens - les officiers et les officiers subalternes et les membres de leurs familles - qui ont fait les frais de cette bévue géopolitique et cette absence de réflexion stratégique.

Un exemple parmi beaucoup d'autres: la 10-e division blindée constituée de trois régiments de chars et d'un régiment de canons autotractés, au total 2.193 hommes, a été déployée dans un champ près de la ville de Bogoutchar, dans la région de Voronej (Russie centrale). Officiers, officiers subalternes, les membres de leurs familles, les soldats ont été logés sous des tentes ainsi que dans des baraquements métalliques, les matériels étant parqués sur des aires à ciel ouvert. Pendant la construction de la cité - près de trois ans - ces gens ont vécu ainsi dans des conditions interdisant toute vie normale.

Pour la 144e division d'infanterie motorisée (3.938 hommes) une entreprise coréenne a construit avec des fonds allemands une remarquable cité militaire de 1.000 logements répartis dans vingt-quatre immeubles de cinq niveaux, avec salle de sport, magasins, hôpital, jardin d'enfants, école et centre de télévision. Cette cité se trouve près de la petite ville d'Elna, dans la région de Smolensk. La grande ville la plus proche, là ou les épouses des militaires pourraient trouver un emploi, se trouve à près de cent kilomètres. Tant que la division était au complet cela ne constituait pas un problème. Mais un beau jour la formation a été réduite d'un quart, ensuite il n'est plus resté qu'un dépôt de matériels de guerre. Les chefs de famille - des hommes jeunes et vigoureux - qui ont été contraints de quitter l'armée suite aux compressions de personnel se sont retrouvés dans des appartements confortables mais sans travail. Pas question de trouver un emploi dans le petit bourg d'Elna qui ne possède pas d'industrie.

Et quand on demande aujourd'hui aux anciens dirigeants du ministère russe de la Défense pourquoi la 144e division avait été déployée à Elna précisément et non pas à proximité de Smolensk, où les gens, quelle qu'ait été la tournure prise par les événements, auraient pu trouver du travail, ils répondent: "Pour le terrain mis à la disposition par les autorités locales celles-ci auraient réclamé cent appartements. A Elna l'armée a réceptionné la totalité des logements".

C'est indéniable, le retrait des troupes russe d'Allemagne a été hâtif et irréfléchi. Longtemps encore les officiers, leurs épouses et enfants, tous ceux qui, volontairement ou non, ont été entraînés dans ce processus, subiront les effets néfastes du manque de perspicacité des politiques et des généraux russes. Comme toujours, les événements de ce genre comportent de bons et de mauvais côtés. Maintenant, nous pensons que nous serons d'accord sur l'essentiel, à savoir que depuis la fin du mois d'août 1994, la menace militaire soviéto-russe n'est plus qu'un mythe pour l'Europe.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала