La suppression des sursis n'est pas une initiative du ministère de la Défense

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MOSCOU, 22 juillet. (Par Viktor Litovkine, commentateur militaire de RIA Novosti). Pendant toute une semaine la presse russe a abondamment commenté la préparation du projet de loi sur la suppression des sursis militaires. Même les propos tenus par le ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov, pendant son déplacement à Londres n'ont pas été à même de mettre fin au débat. Le ministre a déclaré que son département n'avait pas l'intention de modifier la loi sur les obligations et le service militaire, au moins d'ici à 2008, tant que le programme fédéral global de passage au recrutement contractuel de la plupart des effectifs ne fonctionnera pas pleinement.

Le problème de la conscription est tellement brûlant pour la société russe que celle-ci n'a tout simplement pas ajouté foi aux propos du ministre. A tort d'ailleurs. Le ministère de la Défense n'entend réellement pas initier une révision ou une suppression des 24 types de sursis militaires. Le chef du Service de recrutement du département principal de mobilisation de l'Etat-major général, le général de division Valéri Astanine, a déclaré à plusieurs reprises au commentateur de RIA Novosti que plus jamais les militaires ne proposeraient des amendements aux textes législatifs, pouvant tant soit peu restreindre les droits et les libertés des citoyens. Nous n'entendons plus susciter des sentiments antimilitaristes au sein de la société. Nous en avons par-dessus la tête de cette confrontation, avait-il dit.

Toutefois il n'est pas exclu qu'une autre organisation, par exemple l'administration du président russe, comme le prétend le journal Vedomosti, propose de supprimer plusieurs sursis militaires. Selon ce titre, un groupe de travail dirigé par un assistant du président, Igor Chouvalov, s'est attaqué, sur la demande de Vladimir Poutine, à la réforme du système de conscription.

Pourquoi donc ce système a-t-il besoin d'être réformé? Les raisons sont effectivement nombreuses. Il y a tout d'abord "la fosse démographique" qui se formera justement en 2007-2008. A cette époque en Russie les jeunes gens ayant atteint l'âge de dix-huit ans seront deux fois moins nombreux qu'aujourd'hui. Par conséquent, dans les conditions actuelles ce sont deux fois moins de conscrits qui seraient appelés sous les drapeaux.

Il y a aussi le problème de la qualité du contingent de conscrits. Selon les statistiques, l'année dernière, 35 pour cent des conscrits ne travaillaient nulle part, 22 pour cent n'avaient même pas terminé l'école secondaire (112 jeunes ne savaient ni lire ni écrire), 53 pour cent étaient physiquement diminués, 20 pour cent avaient été élevés par un seul parent, 6 pour cent faisaient l'objet d'un contrôle policier pour comportement asocial, 5 pour cent avaient un casier judiciaire.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que certains experts qualifient une telle armée de "lumpénisée", de "foyer de bizutage", ce qui suscite dans les couches les plus cultivées de la société une forte aversion pour la conscription. L'état d'esprit est le même chez les mères des conscrits, chez les étudiants et, d'une manière générale, parmi les jeunes des grands centres industriels du pays. Ils sont peu nombreux à accepter de quitter leurs appartements urbains confortables pour des casernes où, sous le commandement d'adjudants et d'officiers bourrus, ils feront leurs classes dans le froid et la boue avant d'être éventuellement envoyés dans un "point chaud" ou à la guerre.

Or, ce sont justement ces couches sociales qui sont appelées à jouer un rôle déterminant dans les forces armées d'aujourd'hui, qui doivent posséder un potentiel technologique et intellectuel élevé, être capables d'utiliser les matériels de guerre et les armes les plus sophistiqués. Voilà le fond du problème. Ici tout provoque le débat. Par exemple, le sursis militaire le plus courant est celui que l'on obtient pour faire des études supérieures. C'est indéniable, ce type de sursis est un bien pour la société industrielle et postindustrielle qui tend au progrès technologique et intellectuel. Seulement si en 1989 le pays qui alignait alors quinze républiques avec une population globale de 250 millions d'habitants possédait 514 établissements d'enseignement supérieur accordant des sursis à leurs élèves, dans la Russie actuelle on en recense déjà 1.035 pour seulement 142 millions d'habitants. Au demeurant, pas plus de vingt pour cent de leurs promus travaillent dans la profession mentionnée dans le diplôme. C'est pourquoi les généraux concluent que pour les jeunes l'enseignement supérieur est uniquement une échappatoire pour ne pas faire de service militaire. Dans le même temps les chercheurs et les enseignants rappellent que les étudiants constituent la réserve du pays et que les envoyer dans les casernes même pour un an ou deux serait le comble de l'absurdité et de l'incompétence. Le débat ici est éternel.

A propos; examinons maintenant ce que la suppression des sursis apporterait au pays et à l'armée. Par exemple, du point de vue de la "fosse démographique". Chaque année le pays appelle sous les drapeaux quelque 350.000 jeunes (ces chiffres n'ont rien de secret, ils figurent dans des décrets présidentiels). Comme l'indiquent les données officielles, cela représente dix pour cent des appelables. Ces derniers sont par conséquent 3,5 millions. La natalité diminuant de deux fois, divisons ce chiffre par deux. Nous obtenons 1,75 million. Si en 2008, comme le promet le ministre de la Défense, un soldat et un sous-officier sur deux seront contractuels, il sera nécessaire d'appeler chaque année sous les drapeaux non pas 350.000, mais seulement 175.000 jeunes. C'est-à-dire les dix pour cent de jeunes dont on dispose aujourd'hui. Partant, la suppression des sursis ne s'impose pas du tout.

On peut aussi douter de l'efficience de la suppression du sursis universitaire. Les jeunes trouveront bien un moyen de contourner la législation. Le moyen le plus sûr de sortir de cettesituation, c'est de rendre l'armée vraiment attractive pour la jeunesse. De rehausser réellement le prestige du service militaire, d'améliorer les conditions de vie dans les casernes, l'alimentation et l'équipement vestimentaire des soldats, etc. Mais dans ce cas, il ne faudra pas oublier non plus le corps des officiers et des enseignes. Ceux-ci doivent embrasser le métier des armes non pas contraints par les vicissitudes de la vie, mais par vocation. L'accès à l'armée doit être sélectif. Alors la police ne sera plus obligée de faire la chasse aux conscrits réfractaires.

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