Le 24 juin, l'assemblée annuelle de Yukos a apporté deux bonnes nouvelles. La première : les actionnaires ont décidé de ne pas répartir le bénéfice supplémentaire pour 2003. Etant donné le montant des réclamations fiscales avancées à la compagnie, cet argent pourrait être dépensé autrement. La seconde, un nouveau conseil des directeurs a été élu et un homme qu'on présentait depuis longtemps comme le "sauveteur" de Yukos y est entré. C'est Viktor Guerachtchenko, ex-président de la Banque de Russie et député, une des rares personnalités qui, dans la Russie d'aujourd'hui, symbolisent une coopération harmonieuse entre le pouvoir et le monde d'affaires.
Guerachtchenko croit dur comme fer en l'avenir positif de Yukos. "Yukos sera éternellement vivant", affirme-t-il. Et là, Guerachtchenko s'appuie sur des faits élémentaires : malgré les difficultés actuelles, la compagnie possède des actifs puissants et pèse lourd sur le marché. Pour ce qui est de l'avenir d'investissement de l'économie russe, l'homme de finance le voit aussi en tons clairs. Il compare les investisseurs aux abeilles et au butin quotidien qu'elles rapportent. "Les abeilles voleront toujours sur la prairie russe même si l'une d'elles, après une malheureuse collision avec un oiseau, se repose encore dans l'herbe", plaisante-t-il.
C'est ainsi que Guerachtchenko présente le conflit qui oppose le pétrolier au fisc russe.
Or les réclamations fiscales de l'Etat se montent à 3,4 milliards de dollars. Mikhaïl Khodorkovski - créateur, actionnaire numéro un et, jusqu'à une époque récente le patron de Yukos - est sur la sellette, inculpé de multiples crimes économiques, alors que top management de la compagnie tentent de rétablir le contact avec le fisc.
Semen Kukes, qui a remplacé Khodorkovski à la barre de Yukos, affirme que si l'Etat veut bien mettre en faillite la compagnie, il le fera. Mais ce serait la situation où tous - les actionnaires en perte de leurs investissements et de leurs bénéfices, l'Etat, qui se verrait ainsi privé d'une société leader, et l'économie dans son ensemble qui ne survivrait sûrement pas aux conflits qui déchirent le pouvoir et le business - se retrouvent dans une situation de perdant.
Peut-être plus que les autres se rendant compte des risques liés à une éventuelle faillite de Yukos, Vladimir Poutine, sans attendre le verdict du fisc, déclare que l'Etat n'est pas intéressé à une faillite de la société. Tout compte fait, le président aurait pu ajouter que l'Etat n'est pas en général intéressé à des faillites retentissantes et serait heureux si l'affaire Yukos prenne fin au plus vite et sans trop de bruit. En anticipant sur les événements, Poutine aurait pu parler des deux leçons tirées de l'affaire Yukos. La première est adressée aux patrons : "il fait payer les impôts". La seconde est destinée à l'Etat : "il ne faut jamais tenter le business par une proie facile".
Il se peut que Poutine en parle encore, et aussi de la manière dont doivent se construire, à son avis, les rapports entre le pouvoir et les entrepreneurs dans une économie en pleine croissance. Or maintenant, il faudra guérir les plaies. Toute nouvelle positive du siège de Yukos fait d'une pierre deux coups : fait remonter les cotations boursières de la société et remédie à l'image, quelque peu ébranlée, de l'Etat russe dans le monde des affaires.