Ronald Reagan dans la mémoire des Russes

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MOSCOU. (Commentateur politique de RIA-Novosti, Vladimir Simonov). Les Russes ont accueilli plutôt différemment la nouvelle de la disparition de Ronald Reagan, ce qui est, d'ailleurs, très facile à comprendre. C'est que dans l'esprit des Russes le feu Président américain rappelle sans doute une pièce de monnaie, dont l'une des faces rayonne par la lumière de la liberté et de la fin de la tyrannie, alors que l'autre porte inévitablement l'empreinte de cette haine qui s'était attisée dans les relations entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique au cours du premier mandat présidentiel de Ronald Reagan.

Quoi qu'il en soit, les nouvelles générations de Russes vont sans doute se souvenir de Ronald Reagan comme d'un superman qui avait rapproché, en grande partie, le triomphe de la démocratie en Russie. D'autre part, dans la mémoire des Russies, nostalgiques de l'ancienne influence de l'empire soviétique, et selon certaines estimations, ces derniers constituent même jusqu'à 40% de la population de la Russie d'aujourd'hui, le 40-ème Président des Etats-Unis restera à jamais un ennemi fervent et intransigeant du communisme.

Force est de constater, pourtant, que cette seconde partie des citoyens de Russie était autrefois devenue victime de la propagande soviétique qui s'était employée à inculquer sans relâche dans la conscience des masses une thèse selon laquelle "le comédien de seconde catégorie — Ronald Reagan — n'avait jamais réussi, non plus, à dépasser le cap d'un Président tout aussi médiocre dont l'intelligence laissait à désirer". Rien d'étonnant que depuis, on connaît mieux en Russie ces faits de la biographie du Président des Etats-Unis, Ronald Reagan, qui sont liés à sa croisade contre l'idéologie communiste, en tant que telle, et à son rôle dans la "guerre froide".

Et ce, d'autant plus que de tels faits ne manquent certes pas. Qui plus est, le penchant manifeste de Ronald Reagan à une phrase bien sonore et une ironie sans doute parfois par tropmordante lui ont même valu une mention spéciale dans les manuels d'école. En effet, pas mal d'adolescents russes savent très bien que Ronald Reagan est ce même Président américain qui avait qualifié leur pays d'"empire du mal", tout en accusant les leaders soviétiques d'avoir usurpé le droit de perpétrer n'importe quels crimes.

Bien des Russes âgés ne peuvent toujours pas pardonner à Ronald Reagan sa plaisanterie maladroite quand il avait dit notamment donner l'ordre de "bombarder la Russie dans cinq minutes". On pourrait aussi rappeler l'appel très mémorable que Ronald Reagan avait adressé à Mikhaïl Gorbatchev, dans son discours prononcé aux Portes de Brandebourg à Berlin, appel devenu depuis un vrai aphorisme, mais paru très inamical à l'époque: "Monsieur Gorbatchev, démolissez le Mur!" On comprend bien qu'après de telles démarches, la presse soviétique avait facilement trouvé des lecteurs qui avaient unanimement dénoncé faits et gestes du jeune Ronald Reagan qui, encore au poste de chef de la Ligue des acteurs de cinéma hollywoodiens, aurait persécuté ses collègues pour leurs vues de gauche.

Toujours est-il que les slogans anticommunistes de Ronald Reagan se sont bien matérialisés dans sa géopolitique. Les historiens se souviennent aujourd'hui très bien de l'ordre de Ronald Reagan de dépêcher les marines US sur la petite île de Grenade, en y mettant fin, une fois pour toute, à la présence cubaine. Pendant la campagne militaire de l'Union Soviétique en Afghanistan, le Président des Etats-Unis, Ronald Reagan, avait généreusement aidé les moudjahidines afghans en dollars et en armes, ce qui n'avait fait que précipiter la décision du Kremlin de retirer ses troupes de ce pays.

Autrement dit, bien des Russes — appartenant avant tout à la vieille génération — ne manquent certes pas de raisons pour ne pas aimer Ronald Reagan. Mais auprès de ces personnes plutôt âgées, le 40-ème Président des Etats-Unis avait bénéficié de ce respect tout particulier que les Russes portent, en règle générale, à des ennemis fermes sur les principes, passionnés et intransigeants.

Or, un tournant dans l'attitude envers Ronald Reagan de cette partie dissidente de la société soviétique qui rêvait de la démocratie s'est amorcé au milieu des années 1980. C'est qu'à l'époque, ces gens se sont tout simplement rendu compte que la mise du Président américain sur le gonflement du budget militaire des Etats-Unis jusqu'à mille milliards de dollars entraînait inévitablement l'URSS dans une course effrénée aux armements, rivalité que l'économie russe ne pouvait évidemment guère supporter. Par conséquent, Ronald Reagan faisant en fait chanter le communisme, tout en précipitant ainsi son effondrement total. Force est de reconnaître, pourtant, que les Russes qui n'acceptaient pas le totalitarisme du système soviétique l'ont beaucoup apprécié.

L'idée connue comme "Initiative de défense stratégique" (IDS), plus connue, d'ailleurs, en Russie comme "guerres des étoiles", est alors devenue l'expression extrême de cette tactique de Ronald Reagan. Si cette idée avait pris corps, la fin aurait été mise à l'existence tranquille de l'URSS derrière le bouclier de la théorie de "l'extermination réciproque garantie" et ce, pour cette simple raison que les missiles soviétiques n'auraient tout simplement pas pu punir le pays qui aurait pris l'initiative de la première frappe nucléaire. L'Union Soviétique avait alors tendu tous ses muscles industriels, en essayant de trouver une sorte de contrepoids à l'IDS. Tout cela avait naturellement eu pour effet un épuisement extrême de l'économie soviétique, de sorte que la désintégration du pays est devenue en fait l'affaire de quelque dix années à venir.

Entre-temps, Ronald Reagan a gagné son second mandat présidentiel en 1884, tout en venant, de toute évidence, à l'idée sur la nécessité de s'inscrire dans l'histoire des relations soviéto-américaines en tant que pacificateur.

Ainsi, sa rencontre avec Mikhaïl Gorbatchev à Genève en 1985 et le sommet américano-soviétique, un an plus, tard à Reykjavik ont marqué une étape véritablement historique entre la course aux armements, d'une part, et ce qui a reçu par la suite le nom de la "détente" et d'une "nouvelle mentalité", de l'autre. C'est justement à Reykjavik que s'est amorcée, en fait, la réduction réciproque des arsenaux nucléaires, mouvement très difficile avec des à-coups incontestables et même des reculs bien évidents.

Un dialogue s'est, enfin, substitué à la confrontation d'autrefois entre les deux grandes puissances. "Ronald Reagan s'est avéré cet homme d'Etat qui, en dépit de toutes les divergences, a fait preuve de perspicacité et de détermination politiques…", dit Mikhaïl Gorbatchev, en rendant hommage à son feu partenaire. Qui plus est, Mikhaïl Gorbatchev qualifie Ronald Reagan de "grand Président".

Comme, d'ailleurs, le considèrent ces millions de Russes à qui le 40-ème Président des Etats-Unis a offert un cadeau parfaitement inappréciable, en portant un coup très dur au système communiste et aidant ainsi à entrouvrir la porte de la démocratie.

A ceux de mes compatriotes qui ont eu l'occasion de voir les films anciens avec la participation de Ronald Reagan, la vie de ce dernier rappelle sans doute l'invasion d'un brave cow-boy dans une ville, écrasée de peur, sa justice sommaire sur de mauvais gars et un coucher de soleil radieux dans lequel un cavalier fatigué s'éloigne et s'évanouit progressivement.

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