Les Etats-Unis vont-ils céder à l'ONU en Irak?

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par Marianna Belenkaïa, commentatrice politique de RIA-Novosti

Le 1-er mai 2003, le Président des Etats-Unis, George W. Bush, déclarait solennellement la fin officielle des hostilités en Irak. Ainsi, une ère nouvelle commençait en Irak, celle d'espoir et d'instabilité, des révélations et des pertes, de la renaissance et de la déception.

Or, l'année écoulée n'a pas été facile ni simple pour l'ensemble de la communauté internationale. Plus d'une fois, la réputation de l'Organisation des Nations Unies a été remise en cause. Au début, par exemple, Washington et Londres n'ont fait aucun cas de l'opinion de cette prestigieuse organisation internationale et ont déclenché une guerre en Irak. Ensuite, déjà les Irakiens eux-mêmes, une fois délivrés de leur peur d'autrefois face au régime de Saddam Hussein, se sont mis à se demander pourquoi, donc, tout au long des années, l'ONU n'avait rien fait pour empêcher les crimes monstrueux du dictateur irakien. Le scandale autour du programme humanitaire de l'Organisation des Nations Unies "Pétrole contre nourriture" a été sans doute le dernier coup asséné à l'Organisation. Des accusations de corruption, de marchés illicites et de violation des résolutions appropriées du Conseil de sécurité de l'ONU ont été avancées contre bien des sociétés, travaillant dans le cadre dudit programme en Irak, ainsi qu'à l'encontre même de certains fonctionnaires haut placés de l'Organisation des Nations Unies.

Quoi qu'il en soit, comme l'a fait remarquer le vice-ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Youri Fedotov, "toutes les publications à ce sujet ont coïncidé avec l'aggravation de la situation en Irak". Notons également que cela s'est produit à ce moment même où les Etats-Unis se sont nettement rendu compte qu'ils ne pourraient certes pas se passer à l'avenir de médiation de l'Organisation des Nations Unies dans un règlement politique en Irak. Et il est seulement à savoir combien de compétences Washington est-il prêt à y céder à l'ONU.

D'une part, George W. Bush reconnaît que le règlement politique en Irak doit se faire conformément au plan, élaboré par le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU pour l'Irak, Lakhdar Brahimi. Selon le Président américain, le peuple irakien dans sa majorité accepte ce plan. Cependant, on ne sait toujours pas si Lakhdar Brahimi arrivera finalement à réaliser son rêve et faire en sorte que le gouvernement intérimaire que l'on envisage de former d'ici le 30 mai prochain ne devienne par une simple marionnette entre les mains de Washington.

A signaler, en outre, que tant Lakhdar Brahimi lui-même que le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, font remarquer que les fonctions de ce futur gouvernement provisoire seront bien limitées. Il ne pourra pas, par exemple, élaborer des lois, car c'est une prérogative d'un cabinet permanent qui ne sera mis en place qu'en 2005. D'autre part, si Lakhdar Brahimi espère que la supervision de la situation en Irak passera entre les mains de l'Organisation des Nations Unies, le chef de la diplomatie américaine s'est dit favorable à ce que les Irakiennes cèdent au moins une partie de leur souveraineté à la direction de la force multinationale qui serait, de toute évidence, conduite, comme par le passé, par les Etats-Unis. Quoi qu'il en soit, il est sans doute difficile de le qualifier de fin effective de l'occupation et ce, même de juré sans parler déjà de sa reconnaissance de facto. Il est, en outre, fort peu probable que cela puisse arranger les Irakiens.

Le principal argument de ceux qui admettent de repousser toujours plus la transition du pouvoir réel dans le pays aux Irakiens eux-mêmes se résume à peu près comme suit: on ne doit guère admettre un vide de pouvoir. Pourtant, ces derniers mois ont bel et bien montré qu'un tel vide existe aujourd'hui. C'est que l'administration de coalition n'arrive pas à contrôler la situation en Irak. Le nombre des victimes y croît de jour en jour. Force est de constater que ce mois d'avril a sans doute été le plus dur de toute l'année pour les coalisés. Ainsi, les pertes des Américains, à eux seuls, en force vive pendant ce seul mois d'avril constituent environ un quart du total de leurs pertes en personnel depuis le début même de l'invasion de l'Irak en mars 2003.

Les victimes deviennent aussi de plus en plus nombreuses parmi les étrangers qui sont venus en Irak pour travailler sous contrat ou à titre privé - une trentaine de morts rien qu'en mars-avril 2004. Quant au nombre des victimes parmi les populations civiles de l'Irak, on n'en sait rien au juste pour le moment. Le chiffre supposé en varie entre 8 000 à 10 000 personnes en l'espace d'une seule année. Toujours est-il que l'on apprend chaque jour qu'il y a des victimes, tant à la suite des actions des troupes de la coalition qu'à l'issue des attentats terroristes ou des affrontements interirakiens.

Tout porte à croire que les Irakiens comprennent d'ores et déjà que même après le 30 juin prochain - la date officielle de la fin de l'occupation - la situation ne changerait pas radicalement, mais ils espèrent sans doute pouvoir alors prendre des décisions indépendantes sur certaines questions, y compris sur celles qui se rapportent à la sécurité. Il est évident qu'ils auront alors besoin d'une assistance extérieure, mais pas du tout d'un diktat total. Et ce ne sont plus les Etats-Unis, mais les Nations-Unies qui doivent devenir l'assistant et le médiateur en Irak après le 30 juin prochain, car les Américains ne sont plus considérés dans ce pays comme "libérateurs", mais comme "envahisseurs" et ce, sans doute encore pour longtemps. Qui plus est, seule l'Organisation des Nations Unies peut conférer la légitimité requise aux processus politiques qui auront lieu en Irak déjà après la date butoir du 30 juin 2004.

Et ce n'est sans doute l'effet du hasard si l'on parle de plus en plus souvent, depuis ces quelques derniers mois, dans les milieux diplomatiques, de la nécessité de nouvelles résolutions sur l'Irak du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Or, il n'en est pas moins vrai que jusqu'ici, aucun projet n'en a même vu le jour, document qui puisse faire l'objet d'une concertation internationale quelconque. On ne connaît en fait que certains éléments que tels ou tels hommes politiques voudraient inscrire dans une résolution en question.

Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, espère, par exemple, que cette future résolution sur l'Irak du Conseil de sécurité de l'ONU permettra d'élargir la composition de la force multinationale, va reconnaître le futur gouvernement intérimaire et ne manquera pas, en outre, de contribuer à ce que le nombre le plus grand possible d'Etats-membres de la communauté internationale accordent à l'Irak leur assistance financière et, dans la mesure du possible, même militaire. Le Premier ministre de la Grande-Bretagne, Tony Blair, a déclaré, à son tour, que la future résolution du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies devrait officialiser la restitution de la souveraineté aux Irakiens. Taro Nakayama, envoyé spécial du Premier ministre du Japon, est pour que ladite résolution insiste tout particulièrement sur le rôle leader de l'ONU dans la formation d'un nouveau gouvernement irakien.

Pour ce qui est de Moscou, il estime notamment qu'une telle résolution doit consacrer les résultats d'une conférence internationale que l'on devrait convoquer et tenir sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies à l'instar de la Conférence sur l'Afghanistan, forum qui associe les représentants de toutes les forces politiques de l'Irak. Une telle conférence pourrait bien entériner la composition même d'un futur gouvernement intérimaire, tout en trouvant des solutions à l'ensemble des problèmes aigus du règlement irakien. Pourtant, dans l'une de ses récentes interviews, Colin Powell a clairement laissé entendre que les Etats-Unis doutaient fort de la nécessité d'une telle conférence rien que pour approuver la composition d'un futur gouvernement provisoire de l'Irak. Cela dit, le chef de la diplomatie américaine a reconnu que la discussion au sujet de la convocation d'une telle conférence internationale et, par conséquent, sur le texte d'une future résolution sur l'Irak du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies se poursuivait toujours.

Or, les sources russes bien informées de RIA-Novosti n'excluent pas du tout que même deux résolutions onusiennes sur l'Irak puissent être finalement adoptées.

La première pourrait, par exemple, renfermer un appel à convoquer une conférence internationale sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies. Elle pourrait aussi confirmer l'élargissement du rôle de l'ONU dans les processus politiques en cours en Irak, y compris dans la préparation des élections et dans la mise au point de la Constitution.

Parallèlement au travail de préparation d'une telle conférence internationale peuvent aussi démarrer des consultations sur le contenu concret d'une autre résolution beaucoup plus détaillée. Il se peut toujours que ce soit justement cette deuxième résolution sur l'Irak du Conseil de sécurité de l'ONU qui entérine la composition et approuve les compétences d'un futur gouvernement irakien, établisse la date des élections générales dans ce pays, confirme la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Irak, définisse, enfin, le mandat de l'Organisation des Nations Unies et de la force multinationale dans ce pays. Cela peut d'ailleurs se faire à la demande du gouvernement intérimaire. A part cela, estiment ces mêmes sources russes de RIA-Novosti, cette résolution devra faire toute la lumière sur la question concernant les armes de destruction massive (ADM) irakiennes. Somme toute, l'adoption de cette résolution peut avoir lieu juste après la conférence internationale sur l'Irak.

Néanmoins, il ne s'agit pas pour le moment des projets de résolution bien concrets mais plutôt de simples bonnes intentions.

Or, que l'on adopte une seule ou même plusieurs résolutions sur l'Irak, il s'agira forcément là d'un renforcement du rôle de l'Organisation des Nations Unies dans ce pays. Et il est justement à savoir aujourd'hui si les Etats-Unis sont effectivement prêts à y consentir. Et même s'ils l'acceptent pour de bon, jusqu'à quel point y iront-ils? Quoi qu'il en soit, il n'y a pas d'unanimité sur ce point à Washington, et les adversaires des concessions cherchent à compromettre par tous les moyens tant l'ONU elle-même que ces pays qui interviennent pour l'élargissement des compétences de cette organisation internationale en Irak.

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