Tbilissi-Batoumi : le conflit approche une limite dangereuse

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MOSCOU, 30 avril. /par Valeri Asrian, commentateur de RIA Novosti/. La tension des relations entre les autorités de la Géorgie et celles de l'Adjarie, république autonome au sein de la Géorgie, ne cesse de monter.

Il est fort douteux que les parties puissent parvenir à s'entendre car le leader adjar, Aslan Abachidze, est un homme inacceptable pour le nouveau président géorgien, Mikhaïl Saakachvili. Abachidze a réagi avec suspicion, si ce n'est de façon nettement négative, à la " révolution des roses " de novembre qui a renversé à Tbilissi le président Edouard Chevardnadze et, à l'instar de nombreux autres hommes politiques, l'a qualifiée de coup d'Etat.

L'un des principaux mots d'ordres électoraux du nouveau président géorgien était le rétablissement de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays qui était en fait divisé depuis l'éclatement de l'Union Soviétique. L'Abkhazie s'est soustraite à la juridiction de Tbilissi. L'Ossétie du Sud parle de son indépendance, de même que la Géorgie occidentale qui reste fidèle au premier président Zviad Gamsakhourdia renversé lors du coup d'Etat de 1992 et tué un an après. Autant dire que Mikhaïl Saakachvili a hérité de Chevardnadze un pays morcelé où le centre ne contrôle en fait qu'une petite région autour de Tbilissi.

Mikhaïl Saakachvili a décidé de remplir ses promesses électorales en s'attaquant à l'Adjarie, bien qu'Aslan Abachidze, dirigeant chevronné de la république autonome, ait toujours été loyal envers les autorités centrales, ait soutenu le président Chevardnadze et n'ait jamais parlé de l'autonomie, ni de l'indépendance. Chevardnadze a été obligé de partir et le triumvirat arrivé au pouvoir (Saakachvili-Bourdjanadze-Jvania) semble vouloir voir maintenant au poste de chef de l'Adjarie un homme plus accommodant qu'Abachidze pour pouvoir contrôler la totalité des finances de l'autonomie et ses ports, principalement celui de Batoumi qui joue un rôle capital pour l'économie de toute la Géorgie. Naturellement, cette volonté évidente de se débarrasser d'Abachidze ne pouvait que provoquer une réaction de cet homme politique qui fait autorité en Adjarie et dans l'ensemble de la Géorgie. Un conflit en a résulté, il s'envenime mais n'est pas encore entré, heureusement, dans la phase extrêmement dangereuse du face-à-face armé. Mais cela peut arriver.

Les représentants des autorités adjares affirment que Tbilissi prépare une intervention armée en Adjarie. Tbilissi le nie. Saakachvili a déclaré récemment qu' " aucune action armée d'envergure n'est possible, surtout en Adjarie ". A ses dires, en Adjarie la politique de Tbilissi bénéficierait d'un soutien absolu de la population : " cela ne plaît pas au leader local mais c'est son problème ". " En Adjarie tout sera réglé en un bref délai et par des moyens pacifiques ", a déclaré le président géorgien sans préciser comment il entendait y parvenir. Mais le parlement géorgien dirigé par Nino Bourdjanadze, a adopté le 23 avril une déclaration dans laquelle il a entre autres exigé des autorités géorgiennes qu'elles garantissent un espace constitutionnel unique sur l'ensemble du territoire du pays et fassent le nécessaire pour désarmer les groupes militarisés en Adjarie . Cette dernière a réagi par la décision des parlementaires adjars de décréter l'état d'exception dans l'autonomie et le couvre-feu à Batoumi.

Le refus de la direction adjare de recevoir une livraison d'engrais minéraux expédiés ces jours-ci par Tbilissi a mis de l'huile sur le feu. Aslan Abachidze a expliqué ainsi sa décision : " Nous avons été informés qu'outre les engrais destinés aux paysans adjars il y avait aussi du trinitrotoluène dans les camions ".

Abachidze propose aux autorités géorgiennes de se réunir à la table de pourparlers pour débattre ensemble de tous les problèmes qui existent entre Tbilissi et Batoumi. En même temps, il déclare que " Saakachvili s'efforce de faire une " révolution des roses " en Adjarie mais il n'y parviendra pas ". Commentant la déclaration du ministre géorgien de l'Intérieur, Gueorgui Baramidze, qui n'a pas exclu une opération policière en Adjarie, Abachidze a dit que l'autonome défendrait son régime constitutionnel. " Si l'Intérieur s'avise de lancer une opération, nos unités spéciales la recevront comme cela se doit ", a dit le chef de l'Adjarie.

Tbilissi a déjà accusé les autorités adjares d'être mêlées dans une tentative d'attentat contre Mikhaïl Saakachvili. Aslan Abachidze déclare pour sa part que les autorités centrales de la Géorgie préparent une opération spéciale pour le liquider physiquement. Dans ce contexte force est de constater que le conflit entre Tbilissi et Batoumi s'aggrave et que la Géorgie qui a déjà connu deux guerres civiles, contre l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, est au seuil d'une troisième, cette fois contre l'Adjarie.

Cette guerre aurait des conséquences les plus fâcheuses pour l'Etat géorgien qui risque de se désintégrer tout simplement. La tactique de la pression sur les autonomies dont la nouvelle direction géorgienne semble s'armer est sans perspectives. L'unique moyen susceptible de faire sortir les parties de l'impasse est un dialogue constructif qui tiendrait compte des intérêts légitimes des autonomies et des autorités centrales.

La Russie est prête à se charger du rôle de médiateur le plus actif dans ce dialogue. A propos, c'est Moscou qui a aidé à mettre un terme à la guerre entre la Géorgie et l'Abkhazie en 1992. Aujourd'hui également une force de paix russe ne ménage pas ses efforts pour prévenir un nouveau conflit entre Tbilissi et Soukhoumi. Moscou a déjà apporté sa contribution à l'organisation d'une rencontre entre Mikhaïl Saakachvili et Aslan Abachidze à la mi-mars. Malheureusement, les ententes intervenues restent sans suite. Moscou estime nécessaire d'organiser une nouvelle rencontre, d'ouvrir des pourparlers nouveaux. La Russie a toujours préconisé l'intégrité territoriale de la Géorgie et estime toujours qu'il est nécessaire de la préserver, mais elle considère toute pression exercée sur les autonomies comme contre-productive et dangereuse. Pays caucasien le plus puissant et jouissant de l'autorité, la Russie est sincèrement intéressée à voir la paix et la stabilité s'installer dans l'ensemble du Caucase, y compris en Transcaucasie. Telle est sa position de principe qu'elle n'a pas l'intention d'abandonner.

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