Olga Sviblova et son empire photographique

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MOSCOU, 30 avril. (Par Anatoli Koroliov, commentateur politique de RIA Novosti).

En l'espace de dix ans Moscou a accédé au statut de capitale mondiale de la photographie. On en veut pour preuve la prestigieuse Biennale photographique de l'Europe qui a établi ses quartiers dans la capitale. Les plus belles salles de Moscou abritent une bonne cinquantaine d'expositions de photos. Voici quelques titres pris au hasard: " A la recherche de l'identité ", un projet du Fond national de l'art contemporain (France). "L'inexprimable", la ville dans la photographie tchèque. "Rome en photos de 1850 à nos jours". "La photographie iranienne". Des expositions personnelles de coryphées parmi lesquels Antanas Sutkus, Lauren Greenfield, Pavel Glébov, William Klein, Berenice Abbott... L'âme de ce spectacle est la directrice de la Maison moscovite de la photo, Olga Sviblova. Femme d'exception, arbitre des élégances en matière de photographie, manager infatigable. C'est elle qui est parvenue à ce que maintenant les plus grands maîtres et les musées affluent à Moscou sans jamais être amenés à se plaindre d'un manque de place d'exposition. Elle a su promouvoir Moscou parmi l'élite photographique et maintenant la capitale russe est un véritable pôle d'attraction. L'un des secrets de cette force ensorceleuse réside dans l'esprit conceptuel d'Olga Sviblova. La parade actuelle de la photographie, elle l'a bâtie sur trois rangs philosophiques: "Identité", "Ville" et "Technologies nouvelles". Cette affection pour les concepts et les idées, Olga Sviblova l'acquise dans sa jeunesse où elle avait eu la chance d'avoir été l'élève du grand philosophe structuraliste Youri Lotman.

A la question: n'est-ce pas beaucoup cinquante expositions tenues simultanément en dix endroits différents? Sviblova répond en reprenant les paroles de son maître selon lesquellles "l'abondance est un des tous premiers signes du développement en général et de la civilisation en particulier". Appliquez ce principe aux étals d'un supermarché ou aux rayons d'une librairie et vous comprendrez que l'idée est juste.

Une bonne exposition moderne, c'est une installation totale, la création d'un espace théâtralisé, poursuit Olga Sviblova. Seulement cela lui créé aussi des problèmes particuliers: quelques jours avant l'inauguration de la Biennale la salle du Manège a brûlé. La plus grande salle d'exposition d'Europe qui devait abriter le centre névralgique de l'événement.

Tout avait brusquement été suspendu à un fil, mais les difficultés ne font que décupler l'énergie de cette femme peu ordinaire. Par exemple, au cours d'une seule nuit cette femme est capable, seule, de recomposer toute une exposition dont l'agencement ne lui plaisait pas. Cependant, cette fois cinq grands musées lui ont proposé leur assistance, dont la Maison centrale du peintre, le Musée moscovite d'art moderne et la galerie Zourab Tsereteli. Et la Biennale s'est ouverte à la date prévue.

L'année dernière, quelque 480.000 personnes ont visité le Mois international de la photographie. Une performance sans précédent. Mais ce qui est remarquable, c'est qu'Olga Sviblova ne cherche pas à séduire le public où à plaire à la foule. Non, elle propose un spectacle chiffré qui, pour être compris, réclame du visiteur un certain effort intellectuel. Par exemple, elle a présenté aux Moscovites des réflexions visuelles paradoxales (on ne le dirait pas autrement) du philosophe Jean Baudrillard, venu à l'inauguration de son exposition. Cette année il y a eu les photos de madame Orlan qui après avoir livré son visage au bistouri d'un chirurgien esthétique a fait des oeuvres d'art des photos de ses physionomies nouvelles.

Au demeurant, on ne saurait accuser Olga Sviblova de snobisme. Outre les paradoxes biologiques de madame Orlan, le spectateur peut voir, par exemple, de simples photographies campagnardes faites dans un village ukrainien: une noce, le départ de conscrits, la fenaison, un enterrement. Et juste à côté de la campagne un projet cent pour cent urbain est en cours: un sondage interactif B-Line-Nokia par téléphone portable pour désigner le meilleur cliché, et un concours de photos faites au moyen de caméras insérées dans des portables. Pour ceux qui n'en sont pas munis, l'exposition leur en proposera en location.

Maintenant, le clou de l'exposition pourrait être cette femme élégante, un sempiternel et interminable fume-cigarette à la main et aux doigts généreusement bagués. C'est-à-dire Olga Sviblova, l'incarnation idéale du nouveau type de femme russe à qui l'époque nouvelle à offert la possibilité de transformer sa vie privée en événement de portée mondiale.

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