Pas d'Europe unie sans la Russie

S'abonner
par Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA-Novosti.

Les ultimatums posés à la Russie dans l'histoire contemporaine n'ont jamais aidé leurs auteurs à atteindre leurs objectifs.

La déclaration conjointe adoptée lundi à Bruxelles à la rencontre des chefs des diplomaties des pays membres de l'Union européenne rappelle beaucoup un ultimatum. L'Union européenne évoque devant la Russie les "graves conséquences" qu'entraînerait son refus d'étendre l'Accord de partenariat et de coopération conclu en 1997 aux nouveaux pays qui adhéreront à l'UE le 1er mai.

Moscou souhaite revoir cet accord, car la Russie a des échanges commerciaux avec les pays d'Europe de l'Est, nouveaux membres de l'Union européenne en vertu de traités dont les délais n'expireront pas vers mai prochain, loin s'en faut.

L'UE s'y oppose catégoriquement. Selon la déclaration adoptée à Bruxelles, l'Accord de partenariat et de coopération doit s'étendre automatiquement aux nouveaux membres du club européen. Bruxelles laisse entendre par là que l'élargissement de l'Union européenne est une affaire intérieure de l'organisation et qu'elle le restera même si cela ne plaît pas à Moscou. Mais le problème est ailleurs: les belles formules de la "Stratégie générale de l'UE à l'égard de la Russie", document fondamental adopté en juin 1999 par le Conseil de l'Europe à Cologne, garderont-elles leur sens après l'élargissement de l'UE? Ce document mentionne maintes fois des objectifs stratégiques de l'UE comme "l'intensification de la coopération avec la Russie", la création d'une "Russie prospère", d'une "économie de marché florissante dans l'intérêt de tous les peuples de la Russie", etc.

Cependant, Bruxelles ne peut pas ne pas comprendre que l'extension automatique des normes de l'Accord de partenariat et de coopération à 10 nouveaux membres de l'UE portera un coup dur aux intérêts économiques de la Russie. Les dizaines de traités et d'accords commerciaux et économiques qui sont aujourd'hui en vigueur seront résiliés. L'exportation d'aluminium, de céréales, d'engrais chimiques et de combustibles nucléaires vers l'Europe centrale et en Europe de l'Est se heurtera à une multitude de facteurs négatifs.

Bref, selon les estimations des experts russes et occidentaux, l'élargissement d'après la variante que Bruxelles essaie d'imposer à Moscou causera à l'économie russe un préjudice d'au moins 300 millions d'euros, ce qui permet de juger des propos sur le souci de créer une "Russie prospère".

Il est à remarquer qu'en refusant à Moscou le droit de défendre ses intérêts contre les conséquences négatives de l'élargissement de l'UE, ses membres n'ont pas l'intention de sacrifier leurs propres droits à l'autodéfense.

Ainsi, 14 des 15 membres de l'Union européenne adoptent en hâte, ces derniers mois, toutes sortes de lois et de normes qui leur permettraient de réduire considérablement l'arrivée d'immigrés des pays qui adhéreront au club européen le 1er mai. La Belgique introduit des restrictions sur l'octroi des permis de travail qui seront en vigueur pendant les deux années suivant l'élargissement de l'UE, sans donner d'éclaircissements à ce sujet. L'Allemagne prévoit de prolonger ces restrictions jusqu'à 7 ans. Les Pays-Bas établissent le quota de 22 000 ouvriers immigrés par an pour ceux qui arrivent des pays d'Europe de l'Est. La Grande-Bretagne les prive de la plupart des allocations sociales.

Personne n'a l'intention d'étendre automatiquement aux nouveaux membres de l'Union européenne les règles conformes à la situation précédant le 1er mai 2004.

Se rendant compte de l'absence de logique des exigences présentées à Moscou d'étendre l'Accord de partenariat et de coopération à 25 pays (aujourd'hui, il concerne 15 pays), Bruxelles veut noyer cette iniquité dans son mécontentement face à la politique intérieure des autorités russes.

Dans la même déclaration conjointe, les ministres des Affaires étrangères de l'UE rappellent la violation des droits de l'homme en Tchétchénie, "l'imperfection du système électoral russe", ils proposent à Moscou de ratifier dans les plus brefs délais le protocole de Kyoto sur le réchauffement du climat global et de récupérer les immigrés illégaux russes expulsés par les pays de l'UE.

Moscou connaît ses côtés faibles mieux que n'importe quels critiques. La Russie est prête à accepter graduellement les valeurs européennes, mais, pour l'instant, elle déploie ses efforts principaux en vue de remplacer l'économie centralisée par l'économie de marché. La Russie traverse une période transitoire dramatique et voudrait compter sur la compréhension, la coopération et le partenariat de l'UE, et pas seulement sur les observations critiques formulées sur un ton sans appel à son adresse.

Pour l'instant, Moscou soupçonne de plus en plus que l'élargissement de l'Union européenne dans sa variante actuelle représente probablement une tentative de créer un espace européen sans la participation de la Russie, ou bien une zone géopolitique où le rôle réservé à la Russie serait secondaire, celui de pays de seconde zone.

Multipliant les prétentions et les exigences adressées à Moscou, Bruxelles méprise en même temps les intérêts nationaux de la Russie. L'exigence d'étendre automatiquement l'Accord de partenariat et de coopération aux nouveaux membres de l'UE ne fait que mettre en lumière un problème plus important. Le mémorandum du ministère russe des Affaires étrangères envoyé fin janvier à la Commission européenne en parle de manière plus détaillée. L'élargissement de l'Union européenne serait moins douloureux, laisse entendre ce document, si les milieux dirigeants de Bruxelles comprenaient mieux ce que la Russie veut obtenir de l'UE.

Elle ne veut rien d'extraordinaire et, d'autant moins, rien d'injustifié du point de vue des intérêts nationaux réels de la grande puissance européenne qui assure 36 % des livraisons de gaz et 10 % de celles de pétrole aux pays de l'UE.

La Russie voudrait participer plus dignement à l'adoption de décisions au sein de l'Union européenne, à plus forte raison après l'adhésion à cette organisation des pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est, ses partenaires économiques traditionnels. Moscou saluerait les tarifs commerciaux plus équitables de l'UE pour l'acier, les produits pharmaceutiques, le matériel aéronautique et les technologies nucléaires russes.

La Russie ne comprend pas non plus pourquoi l'Union européenne hésite à inviter l'Estonie, surtout la Lettonie, c'est-à-dire ses nouveaux membres, à garantir l'accès aux valeurs européennes pour la minorité russophone de ces pays, notamment la liberté d'étudier et de développer sa culture en langue maternelle.

Moscou compte sur une attitude moins indifférente de Bruxelles vis-à-vis du problème du transit de Kaliningrad et, dans un avenir prévisible, envers les voyages sans visas entre la Russie et l'UE.

Le problème principal se profile derrière cette avalanche de souhaits, de prétentions et de remarques critiques qui s'accroît dans les rapports entre la Russie et l'Union européenne: dans quelle mesure Bruxelles est-il prêt au partenariat stratégique réel, et non déclaratif, avec Moscou, partenariat décrit d'une manière si attrayante dans l'Accord de 1997? D'ailleurs, il ne faut pas oublier un axiome: il est impossible de créer la communauté paneuropéenne sans la présence de la Russie.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала