Vladimir Poutine: quatre années de scène internationale

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Par Dmitri Kossyrev, commentateur politique de RIA Novosti

De la désastreuse politique étrangère de la période 1999-2000 au statut qualitativement nouveau de la Russie sur l'échiquier international et... aux futurs problèmes que ce statut implique. Du gestionnaire débutant d'un pays en crise au statut de dirigeant d'un "pays ayant accédé au leadership mondial en matière de croissance économique". Tel est l'état de service succinct affiché par Vladimir Poutine au terme de son premier quadriennat en qualité de chef suprême de la diplomatie.

Il y a trois ans et demi, en automne 2000, nous avions écrit ce qui suit: "Aux personnes ayant la mémoire courte rappelons qu'il y a un an Moscou avait été secoué par toute une série de scandales aussi schizoïdes qu'invraisemblables - l'affaire de la Bank of New York, par exemple - mais qui pourtant avaient vu le jour à l'étranger; les cendres de la guerre de Yougoslavie étaient encore chaudes que la Russie et l'OTAN avaient failli en venir aux mains à propos de Pristina.... tandis qu'à l'horizon se profilait de toute sa stature la dénonciation du Traité ABM (défense antimissile) par les Américains, annonçant l'effondrement complet de notre système de sécurité. Tout cela autorisait à brosser un tableau vraiment apocalyptique et à envisager l'isolement de la Russie tout au moins en Europe et aux Etats-Unis... L'arrivée de Vladimir Poutine chamboula tous ces plans, la pression exercée initialement sur le Kremlin poutinien ne donna aucun résultat".

Aujourd'hui, en 2004, on ne se remémore pas d'emblée ce dont il s'agissait à l'époque. Bien des gens ont probablement oublié que les bombardements de la Yougoslavie par l'aviation américaine et l'ignorance des protestations de Moscou à ce sujet auraient très bien pu dégénérer en guerre. En tout cas cette situation avait réellement existé après l'occupation inopinée de l'aérodrome de Pristina, la capitale du Kosovo, par des paras russes, suite à quoi le général américain Wesley Clark avait donné l'ordre d'attaquer les paras. Cependant, le contingent britannique allié qui lui était subordonné au Kosovo avait refusé d'obtempérer...

Il est peu probable aussi que l'on se souvienne maintenant de l'"affaire" de la banque évoquée plus haut. Pourtant, elle avait abouti à ce que des banquiers américains soient soumis à toutes sortes de persécutions pour avoir géré des comptes russes. L'objectif poursuivi par ce scandale consistait à ce que les milieux d'affaires occidentaux appréhendent de travailler avec les businessmen russes tous catalogués de ripous ou de mafieux.

Le nouveau président a tout simplement commencé à s'attaquer avec sérieux à la politique étrangère. Avant Vladimir Poutine Moscou s'était heurté à un problème à propos duquel nous avions écrit: "... il suffit de se rappeler la longue liste de rencontres au sommet auxquelles Boris Eltsine avait été invité à prendre part et aussi d'un exercice en vogue à l'époque: le calcul des probabilités pour tenter de savoir si Boris Eltsine renoncerait à se rendre à l'étranger, confierait cette mission à l'un des premiers ministres qui ne cessaient de se succéder, au ministre des Affaires étrangères ou bien s'il annulerait le déplacement à la dernière minute".

Le nouveau leader avait géré cette situation à sa manière. Souvenons-nous de certains épisodes mémorables. Par exemple, comment, au printemps 2000, en pleine campagne présidentielle, Vladimir Poutine avait renoncé - presque comme Boris Eltsine - à se rendre à l'étranger, ce qui avait eu pour résultat la formation d'une longue file d'attente de dirigeants étrangers souhaitant faire sa connaissance. Et aussi comment, au printemps 2000, le premier ministre britannique, Tony Blair, avait pris l'avion pour Moscou pour ensuite envoyer un message aux autres leaders mondiaux: "on peut avoir à faire avec Poutine".

Dès cette époque les médias mondiaux avaient souligné que le style de comportement singulier du nouveau président l'avait beaucoup aidé à se faire admettre dans le club des leaders mondiaux. Ce style était qualifié d'ennuyeux, d'inopérant, de tempéré, de désinvolte, de tranquille, d'imperturbable. Vladimir Poutine était présenté comme le modèle classique de l'eurobureaucrate, acceptable pour ses pairs. On faisait remarquer que durant sa gestion il avait réussi à n'envenimer les rapports avec aucun pays et à se faire de nouveaux amis sans perdre les anciens.

Pour ce qui est de la campagne en vue d'isoler la Russie, on peut probablement dire que la rencontre du G8 à Okinawa, toujours en 2000, y a mis fin. Vladimir Poutine était arrivé dans l'île japonaise en provenance de Pyongyang, ce qui avait fait de lui le personnage central et irremplaçable du sommet, au moins dans le débat sur le dossier nord-coréen. Les tests de fiabilité du nouveau leader étaient terminés. Il avait fait acte de compétence et été "adopté". Au-delà de son flegme on avait vu aussi sa convivialité et sa volonté de coopérer.

La décision du président russe de téléphoner à George W.Bush et de lui proposer une assistance prise immédiatement après les frappes terroristes contre le Trade World Center le 11 septembre 2001 peut sans aucun doute être qualifiée de coup de maître diplomatique. Cet appel téléphonique eut pour prolongement logique un long enchaînement d'événements ayant abouti au statut actuel de la Russie sur la scène internationale, le statut de puissance qui peut se permettre de ne pas être d'accord avec ses partenaires - OTAN, Etats-Unis ou Grande-Bretagne - tout en coopérant avec eux.

Cependant, les choses ne se résument pas seulement à un coup de téléphone et au style personnel de Vladimir Poutine. Il y a aussi la teneur de la diplomatie présidentielle. Les amendements apportés par le cabinet du nouveau président à la nouvelle conception de la diplomatie russe adoptée en été 2000 avaient pour but de conférer un caractère "économique" et "pragmatique" à cette politique. Il ne s'agissait pas ici d'isolationnisme ou de timidité politique. En réalité, le développement économique de la Russie était devenu l'objectif final de sa politique extérieure et, soit dit en passant, un instrument efficace dans l'arène mondiale.

C'est que si avant Vladimir Poutine la Russie passait pour un pays victime de réformes mal ficelées et d'une crise financière - ce qui était vrai - et qui était considérée comme une zone sinistrée, le début de la gestion du nouveau président s'est accompagné presque simultanément d'une reprise économique.

Peu de gens se souviennent que la même année 2000, au sommet de l'Organisation de coopération Asie-Pacifique (APEC) tenu au mois de novembre à Brunei, Vladimir Poutine avait souligné avec force qu'il représentait un pays qui à la fin de l'année afficherait une croissance économique de 7 pour cent. Seulement à l'époque cette nouvelle étonnante n'était pas entrée dans les esprits. On n'y croyait pas, on pensait que c'était un cas exceptionnel, atypique de la Russie. Seulement cette croissance devait se poursuivre toutes les années suivantes. Et ce grâce aussi à une politique extérieure sereine, non conflictuelle.

Tout ceci a fait qu'aujourd'hui, au terme du premier mandat présidentiel de Vladimir Poutine, la Russie jusqu'ici acteur international plutôt mal en point est désormais dotés d'un statut qualitativement nouveau. Depuis l'automne, dans les rapports des centres de recherche internationaux établissant le bilan du développement de l'économie mondiale, la Russie est présentée comme la championne de la croissance économique et classée parmi les quatre leaders de demain avec la Chine, l'Inde et le Brésil.

C'est un très grand événement, prometteur de changements radicaux pour Moscou. On peut s'attendre à ce que la Russie doive faire face à de nouvelles épreuves internationales, subir de nouveaux tests de solidité. Souvenons-nous de la situation analogue dans laquelle la Chine s'était trouvée il y a dix ans. Tant que la Chine avait été considérée comme un Etat pauvre et à problèmes, elle était passée quasiment inaperçue. Seulement quand au début des années 90 il est devenu évident que l'économie chinoise rattraperait bientôt l'américaine, l'attitude observée dans le monde vis-à-vis de Pékin a changé du tout au tout. Par exemple, l'administration américaine qui tout au long des années 90 avait testé la fiabilité de la Chine a abandonné seulement récemment cette manière de faire, résignée qu'elle est à la présence du nouveau leader mondial. La Russie, elle, va devoir encore passer par là.

C'est cela et non pas l'Irak ou certains événements en Russie, la campagne électorale aux Etats-Unis ou encore l'élargissement de l'Union européenne qui explique le refroidissement étrange du climat, la pause observée dans les rapports de la Russie avec l'Amérique et l'Europe. Ces deux dernières hésitent encore sur la question de savoir s'il faut ou non aider ce leader de demain qu'est la Russie (avec l'Inde et le Brésil).

On observe la même réflexion inertielle en Russie. La transition psychologique de la maladie à la santé, du syndrome de la "forteresse assiégée" au leadership mondial se fait lentement. Au demeurant, les principaux problèmes de politique étrangère de la première présidence de Vladimir Poutine étaient liés à cette réflexion inertielle, à l'impréparation psychologique de très nombreux départements ou grandes corporations à la situation nouvelle, au nouveau rôle joué par la Russie dans le monde, au retard qu'ils avaient pris sur les changements intervenus sur la scène internationale, à leur incapacité d'anticiper.

C'est la raison pour laquelle au cours de son prochain quadriennat le président bâtira la politique étrangère de façon à mener à bien des tâches foncièrement différentes de celles des quatre années précédentes.

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