Bilan des quatre années de présidence de Vladimir Poutine

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par Nodari Simonia, académicien, directeur de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales de l'Académie des sciences de Russie

Pour apprécier comme il se doit les progrès enregistrés au cours des quatre années de travail de Vladimir Poutine au poste de président de la Russie, il faut se rappeler, avant tout, l'héritage qu'il a reçu. En effet, tous ses prédécesseurs (à l'exception de la brève période, pendant laquelle les fonctions de premier ministre ont été assumées par Evgueni Primakov) ont procédé à un travail de destruction, certains d'entre eux en sont fiers jusqu'à présent. Certes, l'ancien système était inefficace et conduisait dans une impasse. J'en ai parlé dans mes livres publiés en 1975 et 1991. Mais une question logique se pose: pourquoi fallait-il détruire, en plus du système, les forces productrices, en réduisant ainsi de moitié le potentiel économique de la Russie et en contraignant près de 40 % de la population à vivre au-dessous du seuil de pauvreté? Il est vrai, les pseudo-libéraux ont édifié quelque chose. Le capitalisme bureaucratique ou oligarchique, comme il est appelé en Russie, est le fruit principal de leur activité d'édification. De tous les types de capitalisme bureaucratique, celui édifié en Russie était le pire, comparable seulement à celui en vigueur en Indonésie lorsqu'elle était sous la férule de Soekarno. La corruption dans ce pays embrassait alors pratiquement toutes les sphères de l'activité humaine et était un "mode de vie". Le capitalisme indonésien était parasitique, car, sans créer de nouvelles productions, les oligarques vivaient de l'extraction des ressources naturelles du pays et transféraient les revenus qu'ils en tiraient dans des paradis fiscaux à l'étranger. En Russie le fossé se creusait entre une poignée de personnes s'enrichissant grâce à ce genre de business et la masse immense de simples gens. Le pays s'enlisait dans ce qu'on appelle le modèle de développement latino-américain.

L'un des mérites de Vladimir Poutine est d'avoir empêché le glissement définitif du pays dans cet abîme. Dès le début de son mandat, le président a tenté de s'entendre "à l'amiable" avec les oligarques sur les nouvelles règles de leurs rapports avec l'Etat, en leur suggérant: faites des affaires, développez-les, payez honnêtement vos impôts et cessez de dicter au pouvoir ce qu'il doit vous accorder, privilèges et lois avantageuses. Mais il était vain de s'attendre à la réciprocité de la part des oligarques. Lorsque Vladimir Poutine a décidé d'agir énergiquement et de punir l'oligarque le plus rétif, les "libéraux" russes se sont mis à crier, avec leurs collègues occidentaux, à la fin de la démocratie en Russie et au retour de l'époque soviétique. Après avoir consacré plusieurs années à l'étude de l'histoire du développement social des pays de l'Occident et de l'Orient, je comprends parfaitement l'étonnement du président qui, au cours d'une conférence de presse l'année dernière, a répondu à une question sur la réduction de la démocratie, par l'interrogative: a-t-elle jamais existé?

Effectivement, peut-on attenter à ce qui n'existait pas?

Seuls les philistins, les savants ou les hommes politiques superficiels peuvent admettre que la domination des oligarques dans l'économie est compatible avec la démocratie.

Eltsine dirigeait de manière autoritaire. Il est vrai, son autoritarisme était faible, mou, entraînant la dépravation morale de la société. Seul un ignare ou bien un homme intéressé pouvaient prendre l'anarchie qui régnait dans toutes les structures de l'Etat, même en politique extérieure, pour la démocratie. Au cours des dix années de présidence de Eltsine, la classe moyenne est restée rachitique, peu nombreuse, subissant au même titre que les petites et moyennes entreprises, la pression de l'union des oligarques et des fonctionnaires, en haut, et de celle des structures mafieuses, en bas. Autrement dit, la démocratie était privée de son principal fondement social.

J'estime que la majorité de ceux - en Russie ou à l'étranger - qui ne souhaitent pas voir une Russie forte, comprennent parfaitement tout ce que j'ai dit et qu'ils ne font qu'employer la géométrie variable. En effet, ils n'ont pas crié à l'atteinte de la démocratie aux Etats-Unis, lorsque de nombreux dirigeants de la plus grande compagnie énergétique Enron ont été emprisonnés pour machinations financières, ou bien lorsqu'un grand scandale analogue a éclaté en Italie au sujet du géant de l'industrie laitière le Groupe Parmalat. Pourquoi donc l'arrestation du dirigeant de la compagnie IOUKOS signifie-t-elle la fin de la démocratie (encore inexistante) en Russie? En l'occurrence, on fait allusion au caractère politique de l'affaire, mais sans développer cet aspect. C'est dommage car l'aspect politique est effectivement présent et il tient à ce que les faits et gestes de Mikhail Khodorkovski visaient à assurer le retour d'un système politique où les oligarques dicteraient au pouvoir les lois à adopter, pour qu'il leur soit plus facile de les contourner et d'"optimiser leurs impôts" (terme savant inventé pour désigner la vulgaire fraude fiscale).

Les efforts déployés par le président Vladimir Poutine en vue de placer le capitalisme russe bureaucratique et rapace sur la voie de la "civilisation" sont certainement son mérite principal. Cependant, il a dû régler aussi de nombreux problèmes urgents, dont le règlement incombe, en principe, au gouvernement ou à d'autres institutions. Le fait est que Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir sans équipe de partisans, il a dû la créer "chemin faisant". Par conséquent, il a dû avancer prudemment et lentement, d'autant plus que l'ampleur des objectifs à atteindre reste extrêmement large et que l'un de ses soucis principaux est de conserver et de renforcer la stabilité qui s'est instaurée dans la société.

Vladimir Poutine a un mérite incontestable, et même historique à mon avis, celui d'avoir bloqué les tendances centrifuges de la Fédération de Russie, qui menaçaient l'intégrité de l'Etat. Le travail de sape contre les fondements de l'Etat russe a été stoppé, une réforme administrative scrupuleuse est en cours. Les lois réduisant au minimum les possibilités d'abus de la part des fonctionnaires et de leurs clients ont été adoptées, on s'apprête à en adopter de nouvelles. L'ère honteuse des arriérés de salaires et des retraites qui n'étaient pas versés pendant plusieurs mois - trait caractéristique de la "période démocratique" de développement de la Russie - a pris fin. Trois séries de projets de loi antibureaucratiques ont été adoptées par la Douma (chambre basse du parlement russe) à l'initiative et à la demande instante réitérée du Président, malgré la résistance farouche de nombreux ministères. Cependant, les fonctionnaires à tous les échelons ont su, pour la nième fois, contourner la loi, c'est pourquoi la situation des petites et moyennes entreprises ne s'est pas améliorée. Néanmoins, le président et son administration préparent de nouvelles documents pour corriger cette situation.

Il ne faut pas oublier les efforts déployés par Vladimir Poutine en vue de renforcer la capacité défensive et la sécurité du pays. Sous la présidence d'Eltsine, on a assisté, en fait, à la destruction du complexe militaire sous prétexte de "réconversion", à la cessation des travaux de recherche-développement, à la perte de cadres compétents. Pourtant, Internet qui a marqué le début d'une nouvelle ère postindustrielle dans le développement de l'humanité est apparu et a été employé, au début, dans le cadre du complexe militaro-industriel américain. Les restes du complexe militaire russe ont subsisté grâce à la vente d'armements soviétiques. Les choses sont allées si loin que la Russie a fourni à la Chine, à l'Inde et à certains autres pays d'Asie des armes (par exemple, les Su-27, Su-35) que l'armée russe ne pouvait pas s'acheter. A présent, la situation commence à changer. En 2003, les forces de l'Air de la Russie ont acquis des chasseurs modernes. En 2004, elles recevront le bombardier stratégique Tu-160. Les troupes balistiques se renforcent.

L'appréciation portée sur l'activité du président russe serait incomplète si on omettait de mentionner ses succès remportés en politique extérieure. Ces deux dernières années, j'ai eu l'occasion de constater le respect manifesté par les leaders mondiaux envers le président russe. L'attitude condescendante et, par conséquent, offensante, manifestée à l'égard de la Russie à l'époque de son prédécesseur relève du passé. La politique extérieure de la Fédération de Russie a cessé d'avoir une orientation unilatérale. L'équilibre perturbé des rapports de la Russie avec l'Occident et l'Orient se rétablit lentement, mais sûrement grâce à l'énergie et aux efforts du président Vladimir Poutine. Il devient de plus en plus évident que les discussions sur le fait de savoir vers qui doit s'orienter la Russie - les Etats-Unis, l'UE ou la Chine sont devenues stériles.

Le président a laissé entendre clairement à tout le monde que la politique extérieure du pays serait désormais pro-russe.

RIA-Novosti

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