Gueïdar Aliev, patriarche de la vie politique soviétique et postsoviétique, est mort à Cleveland, loin de l'Azerbaïdjan, son pays natal.
Simple villageois, originaire du Nakhitchevan (enclave azerbaïdjanaise située à la frontière entre l'Arménie et l'Iran), il ne pensait certainement pas dans sa jeunesse qu'il deviendrait un jour leader de l'Azerbaïdjan et, à plus forte raison, qu'il serait l'un des dirigeants du gouvernement de la puissante URSS, et que son bureau se trouverait au Kremlin.
A vingt ans, il a commencé à travailler aux organes de sécurité d'Etat et ce choix a déterminé toute sa vie. Il montait lentement, mais fermement, les échelons de la hiérarchie du KGB d'Azerbaïdjan, en occupant des postes de plus en plus importants. Feu Vladimir Semitchastny, ancien président du KGB de l'URSS, deuxième Secrétaire du CC du Parti communiste d'Azerbaïdjan entre 1959 et 1961, a dit à propos de Gueïdar Aliev:
"Lorsque j'étais chargé des organes de l'ordre, j'ai demandé de trouver une bonne candidature au poste vacant de Procureur de la République. On m'a présenté Gueïdar Aliev qui était alors chef du service de contre-espionnage du KGB d'Azerbaïdjan et avait une bonne réputation. A ma surprise, Gueïdar Aliev a refusé d'occuper le poste de Procureur, en disant: "Je ne suis pas juriste, je suis agent". J'ai apprécié alors cet homme qui n'a pas été alléché par un poste important et a préféré s'occuper de son métier. Plus tard, étant à la tête du KGB de l'URSS, j'ai approuvé la candidature de Gueïdar Aliev au poste de vice-président du KGB d'Azerbaïdjan".
Au milieu des années 60, Semen Tsvigoun, l'un des hommes les plus proches du Secrétaire général du CC du PCUS Leonid Brejnev, a été nommé à la tête du KGB d'Azerbaïdjan. Il entretenait des rapports de confiance avec Gueïdar Aliev. En 1967, lorsque Leonid Brejnev a rappelé Semen Tsvigoun à Moscou en lui confiant les fonctions de premier vice-président du KGB de l'URSS (à ce moment-là, Youri Andropov assumait les fonctions de chef des organes de sécurité d'Etat en remplaçant Vladimir Semitchastny disgracié), le poste vacant de président du KGB d'Azerbaïdjan a été confié à Gueïdar Aliev. Deux ans plus tard, selon la recommandation de Semen Tsvigoun, Leonid Brejnev propose au Bureau politique du CC du PCUS de nommer Gueïdar Aliev Premier Secrétaire du CC du Parti communiste d'Azerbaïdjan.
Il a assumé ce poste 13 ans jusqu'à la mort de Leonid Brejnev qui avait une sympathie particulière pour Gueïdar Aliev et qui le soulignait invariablement, notamment au cours de ses trois visites à Bakou qui se sont transformées en grandes fêtes populaires, comme c'était la coutume à cette époque-là. La célèbre phrase prononcée par le Secrétaire général du PCUS au cours de l'une de ces fêtes "L'Azerbaïdjan fait de grands progrès!" a été l'appréciation supérieure portée à la direction de Gueïdar Aliev. Cette phrase a été écrite sur d'immenses panneaux appliqués sur des centaines de maisons, d'usines et de fabriques de Bakou.
La mort de Leonid Brejnev en novembre 1982 n'a pas mis fin à la carrière de Gueïdar Aliev. Au contraire, le nouveau Secrétaire général du PCUS Youri Andropov a appelé le leader azerbaïdjanais à venir à Moscou et lui a confié le poste de premier vice-Président du Conseil des ministres de l'URSS et membre du tout-puissant Bureau politique du CC du PCUS, en se souvenant probablement du passé d'Aliev-tchékiste et en l'appréciant beaucoup. Gueïdar Aliev s'est adapté au Kremlin assez rapidement et, selon les témoins, a dirigé d'une façon compétente les branches de l'économie nationale dont il était chargé. Il aurait pu occuper longtemps son nouveau poste, si Mikhail Gorbatchev n'était pas venu au pouvoir en 1985. En 1987, Gueïdar Aliev a été démis de ses fonctions de vice-Président du Conseil des ministres de l'URSS et de membre du Bureau politique du CC du PCUS. Il a subi alors son premier infarctus ...
En 1987, il semblait que sa carrière politique était terminée. Mais Gueïdar Aliev appartenait à la cohorte des hommes forts. Bien avant cela, recevant Garry Kasparov, 18 ans, nouveau champion de l'URSS d'échecs, qui se plaignait d'Anatoli Karpov, Gueïdar Aliev lui a dit en souriant: "Sois tranquille, notre avis à ce sujet sera émis. Mais n'oublie pas que tu dois jouer et gagner. Le fort prouvera toujours sa force".
... Il est revenu à Bakou en 1993, au moment où la République était au bord d'une catastrophe, aussi bien économique que politique, déchirée par des luttes intestines à l'intérieur du parti et entre les clans et affaiblie par la guerre du Karabakh. Gueïdar Aliev, homme politique expérimenté, est arrivé à temps. Il a su arrêter la guerre honteuse dans le Nagorny-Karabakh, en la qualifiant de "folie", mais il n'a pu régler le problème du Karabakh. La situation politique dans la République s'est stabilisée. Un tournant s'est produit dans l'économie grâce, pour beaucoup, à gestion habile des richesses pétrolières et gazières. Gueïdar Aliev a rompu l'isolement international de l'Azerbaïdjan, dans lequel il s'était trouvé à cause de la politique pro-turque ostensible d'Elchibey qui avait détérioré les rapports aussi bien avec la Russie qu'avec l'Occident. Sans rien changer dans les rapports chaleureux avec la Turquie, Gueïdar Aliev a élargi divers contacts avec l'Occident, en ouvrant le "feu vert" aux compagnies occidentales, dont les investissements dans l'industrie pétrolière de l'Azerbaïdjan jouent le rôle principal pour l'essor économique de la République. Gueïdar Aliev a mis le cap sur le partenariat stratégique avec Moscou, ce qui a trouvé la compréhension totale et la réaction adéquate du Kremlin.
Gueïdar Aliev est mort à 80 ans. "La politique de Gueïdar Aliev doit être poursuivie au cours des années et des décennies à venir, sinon, le pays aura des conséquences catastrophiques". Ces paroles du nouveau président Aliev-fils peuvent être interprétées comme une sorte de serment de fidélité à la politique appliquée par son père défunt.
