Bolchoï : "Roméo et Juliette" revisité

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par Olga Sobolevskaïa, RIA-Novosti

Le 13 décembre, le ballet de Sergueï Prokofiev "Roméo et Juliette" sera présenté en première sur la Nouvelle scène du Bolchoï. Dans l'histoire du théâtre, c'est la troisième version du ballet du classique soviétique. Depuis l'automne, les amateurs de ballet de Moscou se nourrissent des rumeurs autour de cette nouvelle mise en scène. Ses auteurs, le talentueux chorégraphe moldave de 32 ans Radu Poclitaru et le metteur en scène anglais de 50 ans Declan Donnellan, par ailleurs shakespearien, ont conservé le secret sur tout ce qui pouvait renseigner le public au sujet de leur mise en scène, tout en promettant de rendre ce spectacle "révolutionnaire".

Une révolution a effectivement eu lieu. Car le chorégraphe moldave, contrairement à la tradition, a travaillé sur ce spectacle non pas seul, mais en tandem avec un metteur en scène de théâtre. En fait, cette révolution remonte à 1940, lorsque le chorégraphe Leonid Lavrovski et le metteur en scène Sergueï Radlov préparèrent la première version de ce spectacle sur la scène du Kirov de Leningrad (aujourd'hui Théâtre Marie de Saint-Pétersbourg). Transféré au Bolchoï et présenté à l'étranger lors de la grande tournée de 1956, ce spectacle, où était engagée la brillante et romantique Galina Oulanova, provoqua un véritable bouleversement en Europe. Pour des dizaines d'années, il devint un étalon pour le ballet dramatique et le label de qualité de l'art chorégraphique soviétique. C'est lui qui donna la vie à l'interprétation européenne la plus connue de Roméo et Juliette : son auteur, le chorégraphe britannique Kenneth MacMillan, s'inspira en son temps du spectacle signé Lavrovski.

En 1979, les lauriers de Lavrovski inspirent à leur tour le Soviétique Youri Grigorovitch, et le spectacle était donné au Bolchoï dans les versions des deux maîtres. Maintenant, le Moldave Radu Poclitaru, diplômé de l'Ecole de danse de Perm (Oural) et soliste de l'Opéra de Minsk (Biélorussie), a toutes les chances de se hisser au rang des chorégraphes-cultes.

En Russie, ce jeune artiste devient célèbre en juin 2001, lorsqu'il remporte le Concours international d'artistes de ballet et de chorégraphes de Moscou. Il préférait mettre en scène des miniatures dans lesquelles il entrait en polémique hardie et turbulente avec les clichés de la danse classique. "Inviter un chorégraphe comme moi, c'est un acte plutôt osé pour le Bolchoï", a-t-il expliqué dans une interview à RIA-Novosti. "En Russie, au Bolchoï, les choses censées impossibles sont possibles", ajoute de son côté Declan Donnellan. Son expérience, qui n'est pas négligeable d'ailleurs, lui permet d'en juger. La Russie figure parmi les pays où il a déjà monté ses spectacles.

Quant à ces tours "impossibles" ou "peu habituels", le spectacle ne semble pas en manquer. Poclitaru a ôté leurs pointes aux ballerines, parce que, pour reprendre son expression, elle "gênent, voire bloquent leur liberté de mouvement". Les danseuses portent désormais des chaussures souples et des costumes modernes.

Ma danse, avoue-t-il encore, ne sera pas classique. Il a réduit son premier ballet classique - et ce sera Roméo et Juliette - à deux actes seulement, en engageant dans ce spectacle non seulement des artistes expérimentés mais aussi - à ses risques et périls - de jeunes inconnus.

Dans l'interprétation de Donnellan-Poclitaru, Roméo n'aime pas que Juliette... "Car l'amour peut être différent", expliquent, évasifs, les auteurs du spectacle. Quant aux journalistes, ils ne sont pas admis aux répétitions.

L'accent, dans cette histoire shakespearienne d'une séparation, a été mis sur Juliette. "Elle est beaucoup plus intéressante. Intelligente, elle décide elle-même de tout, Roméo ne fait qu'exécuter ce qu'elle dit", explique Declan Donnellan. "C'est la volonté de Shakespeare, renchérit Radu Poclitaru. - Les idées qui viennent à l'esprit de cette gamine de 14 ans sont d'une profondeur étonnante. Un garçon qui s'amourache facilement à tout bout du champ se hisse à une nouvelle hauteur en courtisant Juliette".

"L'originalité était le moindre de nos soucis", lance Radu. Mais le Bolchoï, qui a résolument choisi, avec l'avènement du XXIe siècle, de renouveler son image et son style, mise justement sur l'originalité. A cette fin également, Alexeï Ratmanski, 34 ans, danseur et chorégraphe mondialement connu, y a été invité. Ses spectacles sont toujours de "première fraîcheur" et ne sauraient être comparés avec ce qui se fait ailleurs. Boris Akimov, directeur du ballet du Bolchoï, fait observer : "La nouvelle scène du Bolchoï nous fixe de nouveaux objectifs, notamment en termes de recherche d'un répertoire contrastant avec celui de la scène principale".

Declan Donnellan s'exclame : "Merci à Prokofiev, merci à Lavrovski et merci à MacMillan dont j'ai vu le Roméo et Juliette à l'âge de 16 ans. Certes je ne propose pas que notre mise en scène vienne remplacer les précédentes. Il s'agit plutôt d'un hommage que nous rendons à ces personnalités". Les versions précédentes de Roméo et Juliette ne seront pas abandonnées au Bolchoï.

"Beaucoup de ceux qui s'intéressent à ce qui se passe chez nous assisteront à la première", note de son côté le directeur général du Bolchoï, Anatoli Iksanov. Ce sont les représentants du monde du théâtre de Paris, de Londres, de Tokyo, d'Edimbourg... La première dévoilera tous les secrets jusqu'ici soigneusement conservés par les metteurs en scène et montrera à quel point les attentes du public sont justifiées.

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