Un diplôme de poète, cela ne se délivre qu'à Moscou

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L'Institut de littérature Gorki est implanté au coeur de Moscou. Il est le seul établissement d'enseignement supérieur en Europe à délivrer des diplômes de poète ou d'écrivain. Ce phénomène n'est possible qu'en Russie où le verbe a toujours joui d'un prestige incroyable.

L'Institut de littérature est issu d'un grand mouvement, il a vu le jour au début de la révolution russe, à une époque où le jeune Etat soviétique était emporté par cette utopie passionnée qui consistait à devenir un modèle pour l'humanité tout entière. Il a été fondé en 1933, sur l'initiative de l'homme de lettres Maxime Gorki qui, n'ayant jamais fréquenté que l'école, rêvait de devenir étudiant. Il avait même écrit que pour avoir la possibilité d'aller à l'université il se serait laissé fouetter quotidiennement, matin et soir.

Cette soif de savoir était caractéristique de la jeunesse soviétique, à l'époque on considérait que grâce à l'instruction il était possible de forger un homme nouveau. On pensait que l'enthousiasme suffisait pour devenir un bon ingénieur ou un bon médecin, mais encore un poète ou un écrivain de renom.

Et aussi paradoxal cela soit-il, c'est en partie ce qui se produisait. En soixante-dix années d'existence l'Institut de littérature a formé des centaines de jeunes gens dont certains étaient exceptionnellement doués. Il s'agit notamment de Konstantin Simonov, remarquable poète soviétique et de Sergueï Mikhalkov, le patriarche de la poésie enfantine, auteur des paroles des hymnes de l'Union soviétique et de la Russie nouvelle.

L'Institut de littérature est l'un des établissements d'enseignement supérieur les plus réputés de Russie. Le concours d'entrée est très relevé, un postulant sur dix est retenu. Des milliers de demandes d'inscriptions parviennent des quatre coins du pays mais quelques unes seulement son satisfaites. L'enseignement y est gratuit. Ces dernières années, le prestige des littérateurs est en chute libre, devenir banquier est devenu plus attrayant que de devenir un nouveau Dostoïevski, néanmoins les cours de l'Institut de littérature sont donnés par des écrivains et des poètes dignes de ce nom mais dont le salaire d'enseignant est souvent l'unique source de revenus.

Dans cet établissement l'art est sublimé, les soirées poétiques, les conférences élitaires sont fréquentes. Une conférence internationale de professeurs de littérature anglaise s'y est tenue il n'y a pas longtemps. Cependant, l'existence des écrivains hors des murs du Parnasse est vraiment dramatique car l'art littéraire ne nourrit plus l'écrivain. Quant au sort des poètes, il est tout simplement tragique.

L'esprit aristocratique de l'académie du beau s'est beaucoup dissipé et cette annonce publiée sur le site Internet de l'Institut de littérature peut être perçue comme une reconnaissance de sa défaite:

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Depuis quelques temps l'établissement s'enorgueillit même de ses promus devenus best-selleristes en exploitant le mauvais goût du lectorat de masse.

La prose, la poésie, la traduction, le journalisme et la critique sont les matières enseignées à l'Institut de littérature qui possède aussi une section d'études par correspondance. La bibliothèque de l'établissement comprend 200.000 livres. L'Institut est abrité dans un bel hôtel particulier doté d'un portique corinthien. Dans le petit parc tracé devant l'entrée principale se dresse la statue du philosophe et écrivain Guertsen, le premier dissident de la Russie tsariste. C'est dans cet hôtel particulier qu'il avait vu le jour.

A l'époque soviétique, les lieux furent habités par deux autres grands écrivains: le poète Mandelchtam, mort dans un camp stalinien, et le prosateur Andreï Platonov. A l'époque, celui-ci assumait les fonctions de concierge de l'établissement et était logé dans une minuscule chambre de service où il avait écrit la presque totalité de ses romans géniaux. Censuré sous Staline, le salaire de concierge était son unique source de revenus. Andreï Platonov fut l'un de ceux qui décrièrent l'idée du collectif et l'utopie de l'homme soviétique et jusqu'à la fin de ses jours il vécut en individualiste convaincu.

Dans son roman Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov tourne en dérision cet hôtel particulier et l'atmosphère qui y régnait. Comme nous pouvons le constater, les grands écrivains doutaient que l'on puisse apprendre la génialité et estimaient que tous les dons étaient divins.

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