Jeudi, le 16 octobre, dans la ville de Putrajaya, nouvelle capitale administrative de la Malaisie, s'ouvre le 10e sommet des chefs d'Etat membres de l'Organisation de la conférence islamique (OCI). C'est le premier sommet de l'OCI après les événements tragiques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, élément déclencheur d'une réflexion du monde entier à la menace du terrorisme international. Cependant, cette peur des terroristes s'est rapidement muée en islamophobie. Avec ce sommet, la Malaisie s'assigne justement comme tâche le filage des mailles de la confiance perdue entre pays musulmans et non musulmans. C'est là que la Russie peut aider l'OCI.
Le sommet se déroulera sous la devise "Le savoir et la morale pour le progrès de la société". La question essentielle qui se pose touche à la possibilité des pays musulmans de surmonter l'écart économique, scientifique et technologique qui sépare les mondes musulman et non musulman. Comment les pays membres de l'OCI peuvent-ils s'aider eux-mêmes, sans attendre le soutien de l'Occident ? L'organisation regroupe 57 membres, aux niveaux de développement très différents. Cités par le quotidien local New Straits Times, les hommes d'affaires malais estiment que "les différences dans les structures économiques doivent stimuler le développement des liens en matière de commerce et d'investissement entre les Etats membres de l'OCI". Les riches pays musulmans sont amplement capables d'accorder leur aide aux pays pauvres du monde islamique pour favoriser leur développement. Mais l'efficacité de cette coopération, ainsi que des activités politiques de l'organisation, nécessitent une réforme administrative de l'OCI. L'Occident pourra alors entendre sa voix.
Au cours des discussions sur l'avenir de l'Organisation, il a été très important pour les membres de l'OCI d'apprendre que la Russie, qui avait affirmé ces dernières années son appartenance à la civilisation occidentale et européenne, avait manifesté sa volonté de participer aux travaux de l'OCI, "au moins en tant qu'observateur, dans un premier temps". Rappelons pour mémoire que le président russe Vladimir Poutine a fait une déclaration en ce sens lors de sa visite officielle en Malaisie au mois d'août.
La Russie aspire à un rapprochement avec l'Organisation de la conférence islamique pour renforcer sa stabilité intérieure et pour diversifier ses relations extérieures.
L'islam est la deuxième religion de la Fédération de Russie. Selon différentes estimations, la Russie compterait de 11 à 22 millions de musulmans, soit 8 à 15% de la population. Le président a plus d'une fois souligné que les musulmans de Russie devaient se sentir non seulement citoyens russes de plein droit, mais aussi partie du monde islamique. En outre, la coopération avec l'OCI peut aider Moscou à systématiser les activités des nombreuses associations internationales islamiques de charité et éducatives qui fonctionnent sur le territoire russe.
Pour la Russie, ainsi que pour les pays membres de l'Organisation de la conférence islamique, il est important que les forces radicales n'utilisent pas la religion comme fondement idéologique du terrorisme. Intervenant à l'Université de Columbia aux Etats-Unis, le président Vladimir Poutine a fait ressortir : "l'expérience de la lutte contre le terrorisme démontre que la force est loin d'être la seule solution, ni la plus efficace". L'islam doit proposer une alternative aux mouvements extrémistes. Et, en la matière, les pays occidentaux et la Russie sont impuissants sans l'OCI. Les derniers événements ont démontré que la menace du terrorisme est un problème commun de l'Orient et de l'Occident. Les chefs d'Etat ne cessent en effet de souligner que les attentants aux Etats-Unis, en Russie, au Maroc, en Indonésie, en Arabie Saoudite, en Irak ont les mêmes auteurs.
Les leaders occidentaux essayent de persuader l'opinion publique de leur pays que l'islam n'est pas une source de menaces. Le président Poutine partage cette position. S'agissant de la solution du problème tchétchène, il a plus d'une fois fait ressortir qu'il était inadmissible de lier la notion de terrorisme aux représentants de telle ou telle ethnie ou religion.
Cependant, les populations américaine, européenne ou russe ne sont pas toujours convaincues par les déclarations des personnalités officielles affirmant que le terrorisme "n'a pas de nationalité ni de religion". Peut-être les pays musulmans eux-mêmes doivent-ils les persuader en présentant des preuves convainquantes de leur lutte contre l'extrémisme.
La coopération avec l'OCI permettra également à Moscou de défendre ses intérêts politiques et économiques en Asie centrale, en Transcaucasie et au Proche-Orient.
La coopération entre la Russie et l'Organisation de la conférence islamique est mutuellement avantageuse. Selon des sources bien informées, l'initiative de Moscou aurait encouragé l'Organisation. Ces derniers temps, les pays musulmans ont senti de manière aiguë la suspicion occidentale à leur égard. Par ailleurs, les puissances occidentales ont commencé à se mêler de plus en plus énergiquement des affaires de l'Orient, sans même lui demander son assentiment. L'occupation de l'Irak et la non résolution du problème palestinien n'ont pas contribué à l'amélioration du jugement que les pays musulmans portent sur eux-mêmes.
Le président Vladimir Poutine propose non seulement que la Russie participe aux discussions qui se déroulent au cours des sommets de l'OCI, mais également qu'elle coopère pleinement, et surtout sur un pied d'égalité, avec les membres de cette organisation, que ce soit en matière d'éducation, de lutte contre le terrorisme, ou de règlement des problèmes irakien et palestinien. S'agissant de la stabilisation en Irak, dans son interview d'octobre au New York Times, le numéro un russe a relevé qu'il fallait rechercher la collaboration avec les pays musulmans et arabes, de la position desquels dépend en grande mesure le règlement des problèmes dans la région.
Ce n'est pas un hasard si la politique de la Russie en faveur du rapprochement avec le monde islamique a trouvé un écho justement auprès de l'OCI. Deux mois seulement après avoir formulé sa proposition, Vladimir Poutine a été invité à prendre part au sommet de l'OCI.
La question du statut de la Russie au sein de l'Organisation de la conférence islamique ne figure pas à l'ordre du jour de l'actuel sommet. Moscou ne s'attendait d'ailleurs pas à une décision instantanée. Les diplomates russes espèrent cependant que les 57 membres de l'OCI aboutiront à un consensus à ce sujet, faute de quoi la coopération avec la Russie ne saurait être efficace. De plus, on estime à Moscou que les discussions sur le statut de la Russie "donneront un élan supplémentaire à la réforme de la structure de l'OCI".