Le Nobel de littérature vu de la Russie

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Par Anatoli Koroliov, commentateur politique de RIA-Novosti

Parmi les concurrents de l'actuel Lauréat du Nobel de littérature, le Sud-Africain John Maxwell Coetzee, se trouvaient cinq Russes: trois poètes et deux écrivains. Ils resteront inscrits l'année prochaine sur la liste des prétendants au prix littéraire le plus prestigieux au monde. Pas moins de 500 noms figurent sur cette liste. Parmi eux se trouvent ceux des écrivains russes Andreï Bitov et Timour Zoulfikarov, ainsi que de la poétesse Bella Akhmadoullina et du poète Guennadi Aïgui. Est venu récemment compléter cette liste le nom de Konstantin Kedrov, auteur de magnifiques poèmes philosophiques, continuateur de la poésie cosmique d'Alexandre Blok et des traditions futuristes russes.

Créatures célestes, tous ces grands noms de la littérature russe semblent touchés par la grâce divine. A commencer par l'ensorcelante et rêveuse Bella Akhmadoullina, dont le nom exprime bien la beauté. Froide et transparente, sa voix poétique jaillit comme une source dans un désert enneigé. Elle célèbre la solitude, la pureté et l'amour malheureux. Revient de façon récurrente le thème du tourment de l'âme du poète, de son esprit voué à servir les muses.

En Russie, sa popularité a longtemps été comparable à celle des stars du show-business. Elle énonçait ses vers dans les stades, son talent lyrique tirant des larmes de ses auditeurs et lecteurs. Emmitouflée dans des fourrures noires, son sang tatar échaudant son tempérament, Bella Akhmadoullina assenait ses coups en plein coeur, avec ses vers en guise de poignard.

Aujourd'hui, autre temps, nouvelles chansons, sa popularité s'est usée. Son raffinement n'est pas compris par tous. La génération du jean a du mal à apprécier le satin.

A-t-elle des chances de remporter un jour le prix Nobel? Il est d'autant plus difficile d'émettre un pronostic que le talent de ses célèbres prédécesseuses, Anna Akhmatova et Marina Tsvetaeva, n'a pas été reconnu par cette haute distinction.

En revanche, les hommes poètes russes ont eu plus de chance avec les honneurs suédois.

En 1933, Ivan Bounine fut le premier poète russe à recevoir le Nobel de littérature. Il mariait d'une main de maître le lyrisme paysager, tristesse des lointains espaces russes, avec un érotisme torride.

Puis, en 1958, le prix couronna le talent de Boris Pasternak. Ironie du sort, il honorait son seul roman écrit en prose, alors que le célèbre écrivain a consacré toute sa vie à la poésie.

Enfin, dernier auteur russe à avoir été admis à l'aréopage des plus grands, Iossif Brodski, au génie comparable à cette Venise qui le ravissait, inondée d'une mer de sentiments, reçu le prix Nobel en 1987.

Aujourd'hui, le poète Guennadi Aïgui a toujours sa place sur la liste des nominés, avec sa manière extravagante de rédiger ses vers, au rythme des musiques contemporaines. Il est difficile de lui trouver un quelconque équivalent dans la poésie russe. Aïgui n'écrit pas des vers, il invente un langage. Empreints d'une puissante énergie noire, de tels vers pourraient sortir de la gueule d'un loup sauvage s'il venait à Dieu l'idée de lui faire don de la parole poétique.

L'autre nominé russe, Timour Zoulfikarov, confectionne également son propre langage. Mais, à la différence de celui d'Aïgui, il ne surgit pas de la forêt sauvage mais des ornements orientaux. Sa poésie peut se comparer à l'ombre d'un pêcher en fleur s'étendant sur le marbre d'un palais. Elle renvoie aux traditions artistiques orientales et reflète la beauté des miniatures iraniennes et perses.

Faut-il préciser que Zoulfikarov et Aïgui sont pratiquement ignorés de la masse des lecteurs russes? Poètes pour les poètes, écrivains pour les écrivains, ils soignent l'arôme de leur vin à l'ombre et à la fraîcheur de longues années de labeur. Et la saveur de ce vin n'est appréciable que par les fins connaisseurs. Après tout, le manque de célébrité peut également fournir l'ombre nécessaire au mûrissement du talent.

Enfin, l'écrivain Andreï Bitov ferme la liste des candidats russes au Nobel. Cet intellectuel et esthète, admirateur de Pouchkine, est né à Saint-Pétersbourg. Son roman le plus imposant, "La maison Pouchkine", a été écrit pendant l'époque de la censure soviétique et de l'emprise du réalisme socialiste. Le manuscrit de son livre est longtemps passé de mains en mains avant d'être autorisé à publication. Il dépeint les douloureuses recherches de l'intelligentsia russe contemporaine. En un sens, le livre prolonge le "Docteur Jivago" de Boris Pasternak, à une nouvelle étape historique. Roman panorama et roman confession.

Akhmadoullina, Aïgui, Zoulfikarov, Bitov et Kedrov, les cinq nominés représentent tous dignement la Russie, à la mesure des cinq écrivains déjà couronnés du prix Nobel: Bounine, Cholokhov, Pasternak, Soljenitsyne et Brodski.

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