Si l’opération militaire russe en Ukraine cristallise l’actualité dans le monde, elle est aussi suivie de très près sur le continent africain. Au-delà des enjeux géopolitiques et des analyses tous azimuts sur le positionnement du continent, dans cette configuration du monde, la situation des ressortissants de pays africains en Ukraine est aussi au centre de toutes les préoccupations.
Depuis le début de cette intervention militaire, de nombreux cris de détresse sont lancés par des citoyens du continent pris entre deux feux sur le territoire ukrainien.
Des traitements racistes
En effet, parmi les centaines de milliers de personnes qui tentent de fuir l'Ukraine vers les pays voisins, notamment la Pologne, figurent de nombreux ressortissants africains.
Dans de nombreuses publications relayées sur les réseaux sociaux, ces derniers disent être victimes de comportements racistes à leur égard aux frontières européennes. Ils seraient, selon de nombreux témoignages, refoulés ou interdits d’accès aux moyens de transports du fait de leur couleur de peau -par exemple-, dans leur tentative de quitter l’Ukraine. Des attitudes jugées "inacceptables" par Auréole Tchoumi, analyste politique et consultant pour une radio privée au Cameroun.
"La situation des Africains à la frontière polonaise montre clairement que le NON au racisme n'a jamais été qu'un slogan creux. Sinon comment comprendre qu’on en soit arrivé là? Voir des jeunes Africains supplier à genoux des militaires polonais pour passer la frontière et se mettre en sécurité est choquant", se désole-t-il au micro de Sputnik.
"Selon les témoignages, les Ukrainiens ont été autorisés à entrer en priorité sur le sol polonais alors que les personnes de couleur ont été repoussées à l'arrière des files d'attente. Certains Africains ont été violentés aux frontières et menacés avec des armes", abonde le site infomigrants.net, qui cite également des cas de mauvais traitements de la part des autorités polonaises.
D’ailleurs face à la multiplication des accusations qui ne cessent de pleuvoir sur la Toile, l'Union africaine (UA) a, dans un communiqué rendu public le 28 février, attiré l’attention sur ces mauvais traitements. L’institution s’est dite "particulièrement préoccupée par les informations rapportées selon lesquelles les citoyens africains, se trouvant du côté ukrainien de la frontière, se verraient refuser le droit de traverser la frontière pour se mettre en sécurité".
Le chef de l'État sénégalais Macky Sall, président en exercice de l'UA, et le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, rappellent que "toute personne a le droit de franchir les frontières internationales pendant un conflit [...] quelle que soit sa nationalité ou son identité raciale".
"Les rapports selon lesquels les Africains sont l’objet d’un traitement différent inacceptable seraient choquants et racistes et violeraient le droit international", ont poursuivi les deux institutions dans le communiqué.
Des déclarations pas suffisantes au goût de Auréole Tchoumi pour qui: "En pareilles circonstances, au lieu de faire un simple communiqué, les dirigeants de cette instance supranationale aurait mis en branle leur réseau diplomatique et dépêché des émissaires pour négocier un canal routier ou un pont aérien pour tous leurs ressortissants".
Le sort réservé aux Africains s'est en outre accompagné de commentaires peu amènes à leur encontre. Distillés sur les plateaux télévisés, occidentaux notamment, et même tenus par des hommes politiques, ces propos établissaient un distinguo entre réfugiés selon des critères pour le moins contestables. "Ce ne sont pas les réfugiés auxquels nous sommes habitués, a récemment déclaré aux journalistes le Premier ministre bulgare Kiril Petkov sur la fuite en Europe des Ukrainiens. - Ce sont des Européens. Ces gens sont intelligents, ce sont des gens instruits... Ce n'est pas la vague de réfugiés à laquelle nous sommes habitués – des personnes dont nous n'étions pas sûrs de l'identité, des personnes avec un passé obscur, qui pourraient même être des terroristes...".
"Les pays africains doivent sauver leurs ressortissants"
Pour le docteur David Eboutou, spécialiste en histoire des relations internationales, s’il faut déjà "saluer la promptitude avec laquelle le l'UA a réagi", au-delà "des simples appels au respect des dispositions du droit international et même de simples condamnations de principes, l'on a beaucoup plus besoin, en de telles circonstances, que des moyens conséquents soient mobilisés pour garantir la sécurité des ressortissants africains en Ukraine", souligne-t-il au micro de Sputnik.
Sur le continent, de nombreuses réactions sont enregistrées depuis peu et les mesures varient d’un pays à un autre.
Le Nigeria a ainsi exhorté lundi les autorités frontalières d'Ukraine et des pays voisins à traiter "avec dignité" ses citoyens. Dans un communiqué, la diplomatie ivoirienne a ordonné ce lundi 28 février l’évacuation de ses ressortissants présents ou vivants en Ukraine, qui souhaitent se mettre à l’abri. L'ambassade du Cameroun en Russie a quant à elle invité les communautés camerounaises d'Ukraine à "plus de prudence et au respect des consignes des autorités locales […] En attendant les possibilités que le gouvernement camerounais leur garantirait à cet effet".
"Les pays africains doivent négocier les terres d'accueil pour leurs ressortissants. C'est le rôle des affaires étrangères. Ils doivent occuper l'espace médiatique, rassurer et conseiller. Ils doivent s’organiser pour sauver leurs ressortissants. Chaque pays doit montrer dans ces circonstances que sa diplomatie est forte, solide, dynamique", suggère l’analyste politique.
En attendant des solutions étatiques de nombreux ponts de solidarité ont été initiés par les Africains vivant en Europe pour apporter leur assistance et permettre aux nombreux ressortissants de quitter l’Ukraine. Depuis le début de l'opération russe en Ukraine, plus de 150.000 personnes sont arrivées en Pologne. Selon le site infomigrants.net, l’Ukraine compte 76.500 étudiants étrangers, la majorité étant originaire d’Inde, et 20% d’Afrique. Les autres pays frontaliers doivent aussi faire face à un important afflux avec l'arrivée d'environ 43.000 personnes en Roumanie, plus de 70.000 en Hongrie et plus de 17.000 en Slovaquie.