Depuis son apparition après la Seconde Guerre mondiale en Amérique du Nord, le management néolibéral traditionnel a cultivé autour de l’image du leader de véritables cultes de l’individu exceptionnel, du héros créateur et demi-dieu et du bâtisseur d’organisations. Cette culture de quasi "déification" du leader et a été renforcée en faisant appel à des analogies mettant à contribution la biologie, à l’instar des travaux du biologiste anglais Charles Darwin (1809-1882).
Comment ces théories inspirées de la biologie ont-elles façonné la hiérarchisation et influencé la communication au sein de l’entreprise? Dans ce cas de figure, comment s’organise la communication au sein de l’entreprise? Quel est le canal le plus adéquat pour transmettre une information?
Dans ce 36e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC au Québec, explique auprès de Sputnik qu’"heureusement, il n’en est pas du tout ainsi pour la société humaine, sinon le totalitarisme le plus sauvage régnerait dans les quatre coins du monde".
"Le darwinisme social dans toutes les sphères de la vie sociale"?
"La sélection naturelle mise en avant par Darwin est invoquée dans des expressions ayant atteint la sphère sociale à tous les niveaux: ‘le plus fort survit, le plus fort gagne’, ou ‘c’est la loi de la nature’", affirme le Pr Aktouf, soulignant qu’"en réalité, le darwinisme et les lois de l’évolution des espèces sont loin d’être une question de ‘loi du plus fort’".
Et d’ajouter qu’à titre d’exemples, "il est attribué à Darwin la légitimation du fait que les uns s’enrichissent ou ‘évoluent’ et que les autres s’appauvrissent ou ‘disparaissent’. S’il en était ainsi, il n’y aurait aujourd’hui sur terre que des mammouths ou des dinosaures!"
Par ailleurs, il explique qu’il "ne faut pas confondre individu et espèce: la sélection et l’évolution naturelles concernent l’adaptation des espèces à la nature environnante, et non pas la réussite d’un individu. Le darwinisme social, en étant accueilli et reconduit avec enthousiasme par les milieux dominants, dans toutes les sphères de la vie sociale, y compris l’entreprise, ne peut que retarder davantage l’avènement d’une mentalité de gestion plus propice à la collaboration effective et à la mobilisation sincère des employés".
"Une vision mécaniste des relations"
Dans ces conditions, estime-t-il, "il y a lieu de constater que l’organisation est alors divisée entre ceux qui savent, les leaders, et ceux qui réalisent, les travailleurs - entre ceux qui émettent et ceux qui reçoivent les messages, les décodent et les exécutent. Ainsi, le dirigeant agit sur son subordonné en transmettant la signification qui est présentée comme une réalité objective qu’il suffit de décoder et d’appliquer". Et d’indiquer que "la raison fondamentale de l’établissement de ce genre de communication en entreprise tient à une vision mécaniste des relations entre individus qui évacue complètement la dimension humaine".
"Pourtant, il est facile de constater que cela a souvent pour effet de faire de cette communication un acte de violence symbolique vu, perçu et vécu par les employés comme un harcèlement psychologique et moral, car trop souvent, la distance entre ce qui est dit et ce qui est fait n’est que trop évidente ou trop grande", conclut-il.