Si dans les principales villes du Cameroun, l’heure est aux multiples plaintes face à la hausse généralisée des prix des denrées de première nécessité, dans l’extrême-nord du pays, l’équation est doublement plus compliquée. Déjà en proie à Boko Haram*, cette région du Cameroun se retrouve régulièrement au bord de la crise alimentaire. Dernière alerte en date, dans une note d’information rendue publique le 22 février, l’ONG Action contre la faim (ACF) informe que depuis janvier, "des familles ont signalé avoir consommé" toutes leurs réserves, et fait des prévisions catastrophiques.
"Entre juin et août 2022, environ 901 042 personnes (…) seront exposées à lune insécurité alimentaire aiguë avec un besoin d’assistance alimentaire urgent", est-il souligné.
Dérèglements climatiques
À l’origine de cette situation dramatique, "une saison agricole 2021 perturbée" par les effets du dérèglement climatique: "les pluies sont de plus en plus faibles et mal réparties dans le temps", poursuit la note d’information de l’ACF.
"L’arrivée très tardive des pluies (première décade de juillet) et la longue séquence sèche constatée tout le mois d’août (habituellement le mois le plus pluvieux), ont eu pour conséquence une faible production agricole, une biomasse fourragère insuffisante et une disponibilité en eau de surface réduite exacerbant la vulnérabilité des ménages pastoraux", poursuit l’organisation humanitaire.
Une situation alarmante, souligne Didier Yimkoua, environnementaliste, "dans une région très peu favorisée par la nature où l’on surfe constamment sur les extrêmes".
"L'extrême-nord est situé dans la zone agro-écologique sahélienne. Vous y avez de très longues saisons sèches mais aussi paradoxalement de fortes précipitations qui détruisent tout sur leur passage et entraînent d’énormes pertes de cultures et du bétail. Le changement climatique a un impact assez tragique dans cette zone", poursuit au micro de Sputnik celui qui évolue au sein du Mouvement Écologie en Marche.
Au-delà de la sécheresse et des perturbations climatiques qui ont réduit presque à néant la production agricole, certaines localités de la région, poursuit l’ACF, font l’objet de nombreuses attaques "d’oiseaux granivores et de pachydermes, qui dévastent les champs, créant un énorme manque à gagner".
Un climat d’insécurité
Prise en tenaille entre ces nombreuses crises, la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, la plus pauvre du pays, broie du noir. Avant les atrocités du groupe terroriste, 74% de sa population vivait déjà sous le seuil de pauvreté. Depuis le déclenchement de la guerre contre Boko Haram*, le territoire doit faire face à l’afflux de milliers de réfugiés qui fuient les atrocités commises dans le bassin du lac Tchad, occasionnant dans la foulée une crise humanitaire. En effet au-delà des contraintes climatiques et de la mal gouvernance, souligne Didier Yimkoua, "s’il y a encore la famine dans ces zones-là, c’est aussi et surtout à cause de l’insécurité régnante".
"Le conflit contre Boko Haram* a empêché un certain nombre d'ONG internationales installées dans cette zone de mener à bien leurs activités, mais il y a aussi un problème de gouvernance locale. Il faut accélérer le processus de décentralisation et donner les moyens aux localités de faire face aux problèmes spécifiques", suggère le militant écologiste.
En attendant des "solutions durables", la rareté des ressources dans la région n’a de cesse de créer des tensions et la situation dégénère très souvent en conflits intercommunautaires. Fin 2021, de nouvelles violences de ce genre ont fait une trentaine de morts dans cette partie du pays et occasionné la fuite de milliers de personnes vers le Tchad voisin.