Le cabinet du Premier ministre canadien a eu recours à une loi d’exception pour mettre fin au Convoi de la liberté, composé de camionneurs et de leurs partisans qui contestent les obligations et restrictions sanitaires en vigueur au niveau fédéral. Malgré le rétropédalage du Premier ministre, avec l’annonce de levée de la mesure dans la nuit du 23 au 24 février disant que "la situation n’est plus une urgence", cela constitue un précédent troublant.
Cette émission a été enregistrée la veille de la levée des mesures d’urgence.
En dehors des deux guerres mondiales, la "Loi sur les mesures de guerre", devenue "Loi sur les mesures d’urgence" en 1988, n’avait été invoquée qu’une seule fois dans l’histoire du Canada. Le père de Justin Trudeau, l’ancien Premier ministre Pierre Trudeau, l’avait utilisée dans le contexte de la "Crise d’octobre", des événements qui avaient vu en octobre 1970 des séparatistes québécois kidnapper un diplomate britannique et assassiner le vice-Premier ministre de la province.
C’est donc une législation que les Canadiens associent aux terroristes. Permettant la suspension des libertés civiles, le texte est conçu pour les cas d’insurrection, d’invasion ou de guerre. Il donne au gouvernement fédéral des pouvoirs spéciaux en cas d’urgence nationale, en dehors du cadre législatif normal.
Les décrets ciblant le Convoi déclaraient qu’il est du devoir des institutions canadiennes de "vérifier de façon continue si des biens qui sont en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à une personne désignée ou sont détenus ou contrôlés par elle ou pour son compte", c’est-à-dire "toute personne physique ou entité qui participe, même indirectement" aux manifestations ou au convoi.
Les institutions tenues de bloquer les actifs des individus qui osent s’exprimer pacifiquement contre l’autoritarisme sanitaire de Trudeau comprennent les banques, les entreprises, les fiducies, les prêteurs et les plateformes de collecte de fonds. La loi pourrait-elle donc servir à cibler des gens qui défendent tout simplement une politique opposée à celle du gouvernement?
Samuel Bachand, avocat canadien spécialiste en droit constitutionnel et partenaire du Justice Centre for Constitutional Freedoms, considère que la proclamation d’état d’urgence ne concernait que certains sites et qu’elle donne aux autorités une licence qui va bien plus loin que ce qui est annoncé:
"La proclamation de l’état d’urgence comporte des mesures discrétionnaires qui permettent aux banques de geler les comptes de toute personne qui serait susceptible ou soupçonnée d’avoir un quelconque lien avec les activités du Convoi pour la liberté. La ministre des Finances Chrystia Freeland affirme qu’ils n’ont ciblé que les organisateurs, mais elle passe sous silence le fait que les banques ont carte blanche pour pourrir l’existence des gens normaux qui ont simplement contribué à acheter un t-shirt ou envoyer quelques dollars au mouvement."
Comment éviter les abus dans ce cas? Samuel Bachand explique que la loi n’impose pas suffisamment de prudence de la part des institutions qui pourraient bloquer les comptes des citoyens ciblés:
"C’est la beauté de la chose: les banques sont protégées en responsabilité, elles bénéficient d’une immunité dans la mesure où le gel de compte bancaire a été fait de ‘bonne foi’ et serait difficile à contester."
Le simple fait que Trudeau ait pu penser à la Loi sur les mesures d’urgence pour faire face à un groupe de personnes klaxonnant et applaudissant pour la liberté est troublant. Qu’est-ce que cela signifie pour les droits fondamentaux des Canadiens à court et à long terme?
"Les Canadiens, qui croyaient vivre dans un pays libéral, se réveillent aujourd’hui dans une sorte d’État autoritaire, rigide, sclérosé, obsédé par des questions de sécurité. On observe une dérive à la fois sanitaire et sécuritaire qui me fascine et me terrifie à la fois. On ne doit jamais mettre entre les mains de l’État nos libertés fondamentales, même sous prétexte de sécurité ou de santé, il faut saisir les tribunaux", conclut l’avocat.