Dans un nouveau discours adressé à la nation dans la nuit du 23 au 24 février, Vladimir Poutine a annoncé le début d’une "opération spéciale" pour "protéger les habitants" du Donbass dont plus de 13 mille ont péri depuis le début du conflit il y a 8 ans. La situation dans la région qualifiée de "génocide" par les autorités russes et locales.
Des actions militaires ont eu lieu tout au long de la journée dans le pays. L’historien (PhD) et enseignant-chercheur en géopolitique Pascal Le Pautremat, revient sur les raisons de la situation actuelle. Ce spécialiste des crises et conflits contemporains, directeur du cabinet de conseil Actiongeos, analyse pour Sputnik les responsabilités des différents acteurs dans ce conflit. Interview.
Sputnik France: Les accords de Minsk, le dernier espoir d’une issue diplomatique, sont morts. Qui porte la responsabilité de leur non-implémentation?
Pascal Le Pautremat: "Il s'agit d'une responsabilité partagée entre les Ukrainiens de Kiev etles séparatistes soutenus par la Russie."
Sputnik France: Comment expliquez-vous le silence médiatique autour des violations ukrainiennes des accords de Minsk dans le Donbass?
Pascal Le Pautremat: "Ce silence traduit une pensée dominante qui voulait montrer que les fautifs dans tout ça étaient les sécessionnistes et pas les “légalistes”. D’autant que le Donbass regroupe peut-être cinq millions de personnes sur un pays qui en regroupe 44. Obligatoirement, il y a une vision de cette minorité qui est conspuée. Donc il y a une communication qui rappelle combien il y a des milices ultras et russophiles."
Sputnik France: Qui porte donc la responsabilité de la situation dans laquelle nous nous retrouvons?
Pascal Le Pautremat: "Dans l’absolu, on voit que la situation actuelle résulte bien d’une responsabilité partagée, quoi qu’on en dise. Dans tous les conflits, il y a toujours des responsabilités de part et d’autre. Après il y a les partisans de tel ou tel camp. Personnellement, je m’en tiens à une lecture objective des choses: et il y a des torts des deux côtés.
"La porte du dialogue s’est fermée"
Vladimir Poutine, lorsqu’il a sondé ses partenaires occidentaux pour savoir si la Russie avait sa place dans l’Otan,a dit et répété qu’il y avait une volonté de ne pas l’intégrer au dispositif. Quelle est la légitimité de garder en vie l’Otan si ce n’est pour être contre la Russie, puisque c’était sa genèse? Certes, on l’a blâmé pour des actions dans le Caucase durant la guerre, qui ne sont pas en adéquation avec notre façon de faire en Europe occidentale, mais petit à petit la porte du dialogue s’est fermée."
Sputnik France: L’Occident donc a une part de culpabilité non négligeable?
Pascal Le Pautremat: "La volonté derrière tout ça, c’est une volonté de guerre économique et politique. Quand vous vous remémorez les discussions sur les réductions substantielles d’armes nucléaires avec Obama et Poutine, il y avait des accords. Ils avaient décidé de réduire mutuellement leurs stocks d’ogives. En 2019, Trump, au pouvoir, a décidé de sortir les États-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. La Russie a suivi."
"Une volonté de guerre économique et politique"
Autre élément qui n’est pas des moindres, il y a une dynamique américaine voulant stopper les livraisons russes de gaz à l’Europe, et notamment à l’Allemagne. Ils y sont en partie parvenus, puisque Biden a réussi à convaincre l’Allemagne de stopper le gazoduc Nord Stream II. Dans le même temps, on voit que les importations de gaz de schiste liquéfié ont augmenté en Europe.
De plus, l’Occident a sans cesse agité l’idée de pousser l’Otan toujours plus vers l’Est. Tout cela mis bout à bout montre bien qu’il y a une stratégie, des étapes. Une dynamique inscrite dans la durée, qui cherche à faire en sorte que la Russie soit en faute.
Là, c’est une faute opérationnelle, puisqu’on sent que Vladimir Poutine a fait un choix qui va avoir des conséquences considérables, dont il reste toutefois difficile à cette heure de mesurer l’envergure. Mais quelque part, il a servi sur un plateau d’argent l’occasion rêvée qu’attendait l’Otan de resserrer la vis.
"Poutine a fait un choix qui va avoir des conséquences considérables"
Désormais, tout a volé en éclats. Vladimir Poutine l’a dit d’ailleurs: les accords de Minsk sont désormais nuls et non avenus. On voit bien qu’il est dans une posture de chef de guerre, dans une dynamique unilatéraliste. Et donc même si des pays comme la Syrie ou le Venezuela le soutiennent, ça ne va pas lui servir au niveau du Conseil de sécurité de l’Onu.
Il a franchi une ligne rouge. Personnellement, je ne m’attendais pas à ce qu’il engage une telle force de frappe militaire. Renforcer le dispositif militaire dans les Républiques sécessionnistes, ça ne m’aurait pas étonné, mais là cette stratégie visant à toucher des points stratégiques militaires à travers une large partie du pays, jusqu’à Kiev, ça montre que l’on a atteint un nouveau niveau d’engagement. On n’est pas encore dans un embrasement généralisé ni dans une invasion stricto sensu, mais c’est tout de même une étape de franchie vers un conflit de “haute intensité”. On n’y est pas encore, mais quand même."