Suicides dans la Pénitentiaire: violence carcérale, abandon hiérarchique, les agents craquent

Entre agressions physiques, manque de soutien de l’administration pénitentiaire et sous-effectifs, les surveillants de prison n’en peuvent plus. Symbole de leur mal-être, trois d’entre eux se sont suicidés en 48 heures.
Sputnik

"Le métier est tellement difficile psychologiquement!"

Secrétaire général du Syndicat Pénitentiaire des Surveillant(e)s (SPS), Jérôme Massip a le ton grave: trois agents pénitentiaires se sont récemment donné la mort, sur une période de 48 heures, a relaté le site Actu pénitentiaire. "Même si le lien avec le travail n’est pas direct, cela y a forcément contribué", déplore le syndicaliste.

"Avec la violence carcérale, la pression hiérarchique qui est exercée quotidiennement, si la vie privée n’est pas stable et épanouie, on n’a plus rien auquel se raccrocher", résume, fataliste, Jérôme Massip.

Les surveillants le savent: la violence fait partie intégrante de leur métier. Travailler en milieu fermé est éreintant. En cause, la "concentration particulière de délinquance et de misère sociale, avec des gens qui sont en détresse psychologique", détaille le secrétaire général du SPS. Un chiffre en dit long: celui des suicides des personnes incarcérées, cette fois. En 2020 par exemple, 119 d’entre elles se sont ôté la vie, selon les chiffres l’Observatoire international des prisons (OIP), faisant ainsi de la France l’un des pays "qui présentent le niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze", a indiqué l’organisme.

Les agents entre le marteau et l’enclume

Au quotidien, les agents pénitentiaires doivent faire face à l’hostilité des détenus avec leur lot de menaces, d’agressions verbales et parfois physiques. À l’image de ce surveillant de la maison d’arrêt du Val-d’Oise (Mavo), à Osny qui a été tabassé par un détenu qui refusait de regagner sa cellule. Entre 2011 et 2018, les personnels ont subi en moyenne environ 4.000 agressions par an, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire.

"On doit faire appliquer le règlement intérieur à la population pénale, mais aussi faire appliquer la loi: vous trouvez de la drogue, des téléphones portables qui sont interdits, vous les confisquez, tout cela fait que l’on est toujours conflit avec les détenus", détaille Jérôme Massip.

Une situation conflictuelle d’autant plus compliquée à gérer que la hiérarchie ne soutient guère ses équipes, accuse notre interlocuteur. En cas d’agression ou d’insultes, "au lieu de nous épauler dans ces moments difficiles, la plupart du temps, on préfère nous montrer du doigt en disant que l’on a provoqué le détenu", dénonce Jérôme Massip.
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Cette attitude découlerait, à en croire le syndicaliste, d’une volonté d’"acheter la paix sociale". "La hiérarchie ne veut surtout pas de vagues, donc elle ferme les yeux sur pas mal de choses, arrondit les angles et finalement obéit à la population pénale", affirme-t-il

"Sauf que l’on perd toute autorité, on est ridiculisés. Les détenus le savent et en jouent", regrette le représentant du SPS.

Un manque de soutien qui fait partie de la longue liste des critiques émises par de nombreux surveillants.

Dévalorisation de la profession

Au rang des griefs formulés par les syndicats se trouve la question de la rémunération et des statuts qui entrainent un déficit d’attractivité pour la filière et donc un manque de personnel. Les principaux syndicats ont d’ailleurs manifesté le 17 février dernier devant plusieurs prisons françaises. En effet, ils jugent "insuffisante" la promesse de revalorisation salariale de 200 euros annoncée par Éric Dupond-Moretti. "On se sent vraiment lésé. On est très agacés et on est interloqués", expliquait à ce propos sur Europe1 Antony Mazoyer, délégué régional du Syndicat Pénitentiaire des Surveillants à Fleury-Mérogis. Dans les faits, en début de carrière, un surveillant verra sa rémunération passer de 1.770 à 1.930 euros nets mensuels.
Cependant, cette hausse de salaire ne devrait probablement pas attirer les futures recrues. Malgré les campagnes télévisées ou d’affichage dans les transports publics, "Cela fait au moins 15 ans que l’on a un gros problème de recrutement: on n’arrive pas à remplir les promotions", rappelle Jérôme Massip. Or une partie des personnes qui réussissent les concours quittent le métier par la suite.

"Lors de leur stage pratique, il y a environ 15% de démission parmi les étudiants surveillants à l'Enap [École nationale d’administration pénitentiaire, ndlr]. Cela creuse le sous-effectif que l’on a concrètement sur le terrain. Il nous faudrait au moins 1.200 surveillants pénitentiaires supplémentaires pour pourvoir les postes vacants", prévient le syndicaliste.

En outre, Jérôme Massip estime que le métier souffre de l’"image stéréotypée du surveillant porte-clés, du maton". L’administration ne tente pas "de la rectifier", regrette-t-il.
Pourtant, il fait valoir une évolution des missions dont les surveillants ont la responsabilité. Depuis 2003, il existe par exemple des équipes régionales d’intervention de sécurité (Eris) afin de rétablir l’ordre en cas d’émeute. Les agents assurent également des missions d’extraction des détenus vers les tribunaux, auparavant réalisées par la police, ou encore la sécurité pénitentiaire autour des établissements. Des fonctions pour lesquelles les surveillants sont armés. À l’instar de l’Italie, "nous devrions être considérés comme des policiers pénitentiaires", plaide Jérôme Massip.
Reste à savoir si le gouvernement restera sourd aux doléances des surveillants, au risque d’accentuer leur mal-être.
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