7.647 victimes, 1.641 avortements, 179 décès. La Dépakine continue de faire des ravages: plus de 400 victimes et 15 morts en plus, depuis notre premier reportage, il y a un an et demi. Commercialisé par Sanofi, ce médicament est prescrit à des femmes enceintes en cas de troubles bipolaires ou comme antiépileptique. Il est à l’origine du handicap de nombreux enfants, empoisonnés in utero.
Voilà le récit d’une citoyenne ordinaire devenue lanceuse d’alerte. Mère de deux enfants victimes de la Dépakine, Marine Martin a créé l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (APESAC) en 2011.
Depuis plus d’une décennie, son association se bat sur deux fronts: pousser Sanofi à reconnaître la défaillance dans les notices et l’obliger à indemniser les victimes. La première bataille, celle qui permet de prévenir les patientes, a abouti à deux grandes victoires. En 2015, l’entreprise pharmaceutique a changé la notice de la Dépakine. Près de cinquante ans après la mise du médicament sur le marché, elle mentionne enfin "un risque élevé de troubles graves du développement et du comportement" sur les fœtus.
"En 2011, quand j’ai lancé l’alerte sur le scandale de la Dépakine, le statut de lanceur d’alerte n’existait pas. Je n’ai été aidée nulle part. Je n’imaginai pas tout ce qui allait m’arriver. Attaquer un laboratoire comme Sanofi, fleuron de l’industrie française, c’était compliqué. C’était David contre Goliath", rappelle Marine Martin.
Au fur et à mesure, la mère de famille organise ses troupes. Aidée par ses avocats, elle arpente inlassablement les couloirs des ministères, frappe aux portes des députés, entre dans les bureaux des responsables d’agences de santé… Son obstination est couronnée d’une autre victoire en 2020: le groupe pharmaceutique Sanofi est mis en examen pour "tromperie aggravée" et "blessures involontaires" dans l’affaire de la commercialisation de l’antiépileptique puis pour "homicide involontaire".
"Je les attaque de tous les côtés, parce que je sais qu’ils vont me mettre des bâtons dans les roues. Si on me met dehors par une porte, je rentrerai par une autre", assure la lanceuse d’alerte.
Le 16 février 2021 le Sénat a adopté la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. Le nouveau texte prévoit des aménagements: par exemple, celui qui dénonce un scandale n'est plus contraint d'avoir personnellement connaissance des faits, il peut signaler des actes qui lui sont rapportés. Désormais, la lutte contre les représailles portant sur l'entourage du lanceur d'alerte est renforcée. Cependant, il reste une lacune importante dans ce texte. Selon Marine Martin, le soutien psychologique n’en fait pas partie. "Je culpabilise beaucoup par rapport à ma famille, de les avoir entraînés là-dedans", souffle Marine.
Une bataille pour la famille et pour d’autres victimes
La bataille de Marine Martin au nom des familles se fait malheureusement parfois au détriment de ses propres enfants. Ils souffrent en effet toujours de divers maux. Des troubles psychomoteurs pour Salomé, née en 1999. Des syndromes autistiques pour Nathan, né en 2002. Mais ni l’un ni l’autre n’a été indemnisé à ce jour!
" J’ai déposé une plainte au civil en individuel en 2012. On est en 2022, ça n’a toujours pas été jugé. Sanofi use et abuse de tous les recours possibles et imaginables pour retarder la procédure", déplore Marine Martin.
Il en faut plus pour décourager la présidente de l’APESAC, enthousiasmée par une nouvelle victoire de son association. En janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris a reconnu la responsabilité de Sanofi. Selon cette instance, le groupe pharmaceutique a "commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d'information". L’entreprise pharmaceutique a fait appel.
"Quand on voit comment sont mis sur le marché les médicaments, je me dis que je dois continuer à faire les choses de l’intérieur. Ce travail gigantesque doit être accompli par les citoyens, si on veut continuer à vivre dans la démocratie", conclut Marine Martin.