Depuis près de 15 ans, notamment suite à la crise financière et monétaire internationale de 2007-2008, les théoriciens du management néolibéral américain se sont mis, avec l’aide des médias dominants, à parler avec force de "la bonne entreprise citoyenne".
Or, parler avec tant d’insistance de la nécessité de l’entreprise "citoyenne", n’est-ce pas sous-entendre que jusque-là elle ne l’était pas? A-t-on abreuvé de faux concepts le citoyen qui, lui, croyait à la bonne citoyenneté de l’entreprise? Ces entreprises ne seraient-elles pas anti-citoyennes?
Dans ce 35e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC au Québec, explique comme "l’a très bien décrit le prix Nobel d’économie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale puis de l’administration Clinton, Joseph Stiglitz, que pendant longtemps on a fait comprendre au citoyen américain que tout ce qui était bon pour les grandes entreprises notamment était également bon pour les États-Unis. En effet, le bien-être de la cité, de la communauté, de la nation, non seulement n’est pas l’objectif de l’entreprise, mais en est peut-être même l’ennemi".
Pourquoi récompenser la "capacité à fabriquer des chômeurs"?
Et de s’interroger: "comment peut-on prétendre demander à l’entreprise de devenir citoyenne au moment où l’on voit des présidents-directeurs généraux, des cadres supérieurs et des actionnaires se payer toujours plus grassement en récompense de leur capacité à fabriquer des chômeurs? Comment peut-on demander à l’entreprise d’aujourd’hui de faire un effort éthique ou social, quand en même temps il n’a jamais été donné autant de pouvoir, transnational, sans frontières ni lois, au business, et quand les écoles de management enseignent dans l’ensemble un tout autre discours diamétralement opposé?".
Dans ce sens, Omar Aktouf rappelle le célèbre débat télévisé "lors duquel l’ancien secrétaire du Travail de la Maison-Blanche, Robert Reich, s’est vu traiter par le PDG du géant Scott de +socialiste attardé+, parce qu’il avait osé plaider pour une responsabilité sociale de l’entreprise, pour une baisse des niveaux de dividendes et de profits en faveur de plus hauts taux d’emploi".
Un discours basé sur "trois mystifications"?
Pour le Pr Aktouf, si ce discours arrive à tromper les citoyens, c’est parce qu’il "est promu sur la base de trois mystifications […]. La première est le lien que l’on nous dit exister entre poursuite infinie d’accumulation d’argent et éthique. À ce propos, on entend de plus en plus de discours sur le +business éthique+ et sur les entreprises qui embauchent des philosophes et des +éthiciens+ pour se donner bonne conscience. Néanmoins, il faut préciser que l’idée même d’éthique implique le collectif et le souci de l’autre, une idée totalement étrangère à l’idéologie individualiste du business". La deuxième mystification, selon lui, "est celle qui tend à faire croire que le discours du politique, comme celui du business, traite réellement de choses qui relèvent de +l’économique+. Or, il y a lieu de constater que l’objectif avoué de l’économie d’aujourd’hui va totalement à l’encontre de l’idée fondatrice même du concept de l’intérêt commun qui passe avant toute considération d’accumulation individuelle".
Enfin, la dernière mystification est relative à la confusion qu’on entretient entre la richesse des quelques-uns et la richesse collective", poursuit-il, soulignant que "la poursuite du profit ne doit plus être ni maximaliste, ni de court terme, ni égoïstement administrée par le seul patronat à son seul avantage. Mais elle doit être considérée comme le fruit d’un labeur commun, dont le taux, la destination et l’usage doivent être pensés et décidés en commun, entre dirigeants et dirigés, entre milieux d’affaires, État et mouvements sociaux".