C’est décidé, la France et ses alliés vont "entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs". Ce départ est justifié dans une déclaration publiée ce 17 février par de "multiples obstructions des autorités de transition maliennes" visant l’opération Barkhane et la Task Force Takuba.
"Je n’ai absolument aucune inquiétude. Je suis très serein et je suis sûr et certain que l’armée malienne est capable d’arriver à bout de cette situation d’insécurité que nous vivons depuis des années", confie Daouda Traoré à Sputnik. Comme ce professeur d’université, le retrait à venir de Barkhane, entraînant celui de la force Takuba, ne suscite pas d’affolement au Mali.
Cette sérénité, malgré l’insécurité toujours pendante, est la résultante de la lassitude de la population face à ce qu’ils interprètent comme un interminable échec militaire, nonobstant des succès ponctuels. Avec l’opération Barkhane, "on n’a pas remarqué de changements notables", déplore Naïbely Diallo. Les succès militaires revendiqués par la force n’impactent pas la situation sécuritaire quotidienne au fil des ans.
"Nous sommes déçus de l’attitude de la France. En 2013 [au lancement de l’opération Serval, première intervention française, ndlr], le conflit était circonscrit à quelques endroits seulement mais aujourd’hui c’est pareil de Kayes à Kidal [régions situées respectivement au sud et au nord du pays, ndlr]. Tout le monde a la peur au ventre et le centre est devenu une poudrière", dénonce le jeune bamakois originaire du centre, épicentre des attaques terroristes.
"On a été longtemps piétiné dans notre orgueil"
Arrivés en héros, les Français sont "vus aujourd’hui comme des ennemis qui sont à la manette pour que les choses durent", analyse l’universitaire Daouda Traoré. "Je peux dire sans risque de me tromper que la France y est pour quelque chose dans la dégradation de la situation sécuritaire au Mali et dans le Sahel", corrobore Oumar Bassy Sanogo, secrétaire politique du parti pour la restauration des valeurs du Mali (PRVM Fasoko) a Sputnik.
Le retrait à venir des forces françaises intervient dans un contexte politique et diplomatique tendu entre Paris et Bamako. La réaction de la France, qui considère comme "illégitimes"les autorités de la transition malienne, était attendue aprèsl’expulsion de son ambassadeur. Conséquence logique d’une "attitude paternaliste" de la France, la fin prochaine de Barkhane permettra au Mali de "renouer avec la souveraineté", estime Oumar Bassy Sanogo.
"On a été longtemps piétiné dans notre orgueil. Il va falloir que la France sache où sa place se trouve et doit désormais considérer les autres nations comme des États souverains. Sinon, si elle continue dans cette lancée, elle va perdre tous ses partenaires en Afrique de l’Ouest", prédit-il.
Le Mali est un maillon stratégique dans le dispositif français de lutte contre l’expansion terroriste au Sahel. Victime de sa politique, la France est en passe d’être privée du pays où est concentré l’essentiel de ses militaires. Le fiasco malien pourrait être le "précurseur"d’une hostilité plus large en Afrique de l’Ouest où les populations "veulent rompre avec le néocolonialisme", avance Daouda Traoré.
"Rejet de la France dans la sous-région"
Selon le professeur de droit à l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako, le départ de Barkhane du Mali pourrait clairement conduire à un "rejet de la France dans la sous-région". Pour lui, "l’exemple type est le Niger" où "les autorités et le peuple ne sont pas sur la même longueur d’onde". Ce pays frontalier avec le Mali est désormais le noyau de l’intervention française au Sahel, destinée à se poursuivre. Il a pourtant déjà été le théâtre d’un incident meurtrier en novembre 2021 lorsque des manifestants avaient bloqué un convoi de Barkhane.
"La France doit savoir que le monde a changé. Que ce qui était possible auparavant ne l’est plus aujourd’hui. Il faudra redéfinir les termes de sa collaboration. Cela passe par l’instauration d’un partenariat gagnant-gagnant avec les pays africains", suggère Daouda Traoré.
La redéfinition des relations franco-maliennes est d’autant importante que les militaires de Barkhane restent au Sahel "avec un œil sur le Mali", avertit-il. L’après-Barkhane ne devrait cependant pas être synonyme de rupture définitive de tous les liens entre les deux pays. "Les États ont tous besoin les uns des autres. Le fort a besoin du faible, comme le faible a besoin du fort. La crise atteignant son paroxysme, il s’agira pour nous d’essayer de décanter la situation et de repartir sur de nouvelles bases".
En attendant, la France perd sa place de partenaire privilégié du Mali. D’autres se positionnent et certains séduisent d’ores et déjà. "Le partenariat avec la Russie est en train de porter ses fruits. En seulement trois mois, nous voyons les retombées positives", se réjouit Oumar Bassy Sanogo. Il estime que "les autorités actuelles peuvent se débrouiller sans Barkhane".
Même optimisme partagé par Naïbely Diallo. "Je ne crois pas que le départ de la France va régler tous les problèmes du Mali mais les Maliens auront au moins le droit d’affronter leur destin avec ceux qui acceptent de nous accompagner à nos conditions".