"La présence russe en Afrique ne date pas d’aujourd’hui. Pendant la guerre froide, les militaires soviétiques, qui poursuivaient d’autres objectifs à cette période, ont été bien accueillis par les Africains". Le journaliste gabonais Ferdinand Ditengou Mboumi remet la présence russe en Afrique –décriée par Paris– dans son contexte. Depuis l’époque soviétique, les Russes ont conservé un important capital de sympathie auprès des populations africaines, précise encore le directeur de publication de Mir magazine, média spécialisé dans la l’actualité russo-africaine.
Du point de vue malien, sahélien et même africain en général, l’arrivée de moyens militaires russes, notamment au Mali, en état de guerre depuis des années, est assurément une lueur d’espoir. Ainsi, des contingents d’instructeurs russes se trouvent-ils aujourd’hui à Bamako à la demande du pouvoir malien. La communauté internationale évoque également la présence des sociétés militaires privées russes dans le pays. Moscou insiste toutefois sur le caractère privé de tels groupes, qui ne sont donc pas un bras armé de l’État.
"Moscou apporte son expertise, son savoir-faire dans nombreux domaines, y compris dans le domaine sécuritaire et le maintien de la paix dans les zones en crise", explique au micro de Sputnik le directeur de publication de Mir magazine.
Un espoir pour les Maliens et leurs voisins? Force est de constater que les moyens diplomatiques et militaires français déployés au Mali depuis 2013 n’ont pas réussi à empêcher la propagation du djihadisme. À l’époque, il était surtout national, s’étendant tout au plus aux voisins nigérien et burkinabé. Il s’est depuis diffusé à l’ensemble de la sous-région, menaçant désormais le Golfe de Guinée.
L’exemple probant de la RCA
C’est la raison principale de l’engouement local pour les moyens militaires russes privés ou étatiques, explique notre interlocuteur. La Russie étant selon lui capable d’apporter une stabilité que la France n’a jamais réussi à assurer.
"La paix est la principale attente des populations africaines dans les pays en conflit. Aucun développement n’est possible dans ces pays sans la paix", rappelle-t-il.
Or, le bilan des dernières interventions russes en Afrique a été positif. L’histoire récente de la guerre civile en République centrafricaine (RCA) est là pour le rappeler. "La nature a horreur du vide", explique notre interlocuteur, et c’est bien l’incapacité française à assurer la paix et la sécurité en RCA, via l’opération Sangaris, qui avait poussé le Président Faustin-Archange Touadéra à "prendre la direction de Moscou, faute d’alternatives", estime le journaliste gabonais.
Après le départ de la force française Sangaris, la coopération militaire interétatique a permis de stabiliser la situation sécuritaire dans le pays. Les violences interethniques ont été considérablement réduites, selon notre interlocuteur qui prédit "le même scénario" pour le Mali.
Lutte anticoloniale commune
En septembre 2021, à la tribune des Nations unies, le Premier ministre malien Choguel Maïga "a dit tout haut ce que les Maliens pensaient tout bas": l’annonce de la fin de l’opération Barkhane en juin 2021 "avait mis de l’huile au feu." Ainsi, comme en RCA, faute d’alternative crédible pour assurer la sécurité de leur pays, les autorités maliennes se sont tournées vers de nouveaux partenariats. Et notamment vers la Russie, qui a une longue histoire de dialogue avec l’Afrique.
Dès les années 1950-1960, "l’Union soviétique a fait des investissements considérables et déterminants dans les mouvements de libération nationale en Afrique", rappelle le directeur de publication de Mir magazine. La Russie a contribué à émanciper les peuples africains de la tutelle coloniale, notamment au Mali.
Ces partenariats, qui se sont poursuivis après la décolonisation, ne se sont pas limités au domaine militaro-technique. La formation des élites africaines a été un autre succès de la relation de Moscou avec le continent, explique Ferdinand Ditengou Mboumi.
Ambitions russes en Afrique
En effet, plusieurs milliers des jeunes africains ont fréquenté les bancs des universités et grandes écoles soviétiques. "Au fil du temps, certains d’entre eux sont même devenus des chefs d’État, membres de gouvernement, hauts cadres de l’administration publique et privée de leurs pays respectifs." Depuis, hormis une période de flottement qui a suivi la désintégration du bloc soviétique, ces relations ont perduré.
La Russie, du fait de cette histoire commune, a d’ailleurs bonne presse auprès des populations locales, affirme le directeur de publication de Mir Magazine. Ainsi compte-t-elle "retrouver son niveau de présence d’antan dans les pays tels que l’Angola, le Mozambique, l’Éthiopie, le Mali, le Congo-Brazzaville, la Guinée et bien d’autres." Des pays où, en son temps,
"L’Union soviétique a fait la preuve de sa capacité à projeter sa puissance militaire. Mais aujourd’hui, la Russie ambitionne également de mettre en place de grands projets de partenariat avec d’autres pays africains", précise notre interlocuteur.
Pour ce faire, elle a d’ailleurs pris l’initiative "d’annuler plus de 20 milliards de dollars de dette des pays africains, accumulée à l’époque soviétique", lorsqu’elle a "repris du poil de la bête" économiquement. Moscou a également "imaginé un nouveau format pour sa relation avec le continent africain sur le modèle des formats que l’on retrouve avec d’autres régions: France-Afrique, Chine-Afrique ou encore Turquie-Afrique", souligne Ferdinand Ditengou Mboumi.
En octobre 2019, le sommet et le forum économique Russie-Afrique, organisé à Sotchi, a été l’occasion de jeter les bases de cette nouvelle relation entre l’Afrique et la Fédération de Russie dans divers domaines, aussi bien militaires que civils, ajoute-t-il. Et pour arriver à ses fins, la Russie dispose d’un "avantage considérable" par rapport aux "autres partenaires des pays africains", considère-t-il:
"Elle n’a aucun passé colonial, elle ne s’ingère pas dans les affaires intérieures des pays, elle intervient à la demande des autorités officielles."