Depuis le 8 février, la patineuse russe Kamila Valieva vit au rythme des autorisations et des suspensions de sa prestation en solo à Pékin. La jeune athlète, favorite pour l’or olympique mais contrôlée positive à une substance interdite en décembre dernier, a reçu ce lundi le feu vert du tribunal arbitral du sport (TAS). Aujourd’hui, elle a présenté avec succès son programme court et en est sortie gagnante!
"Ces journées ont été très difficiles pour moi, j’ai épuisé toutes mes réserves d’émotions. Je suis heureuse, mais émotionnellement fatiguée. D’où mes larmes de bonheur et d’un peu de déception", a déclaré Kamila Valieva à Pervy Kanal, retenant à grand-peine ses larmes.
Ces montagnes russes émotionnelles ne sont que le reflet du charivari incessant des autorités impliquées dans le dossier de l’adolescente prodige de 15 ans.
Le 7 février, l’équipe russe de patinage artistique avait remporté aux JO de Pékin le tournoi par équipe. Mais la cérémonie de remise des prix a été reportée à cause de la trimétazidine (utilisée dans le traitement des angines de poitrine) retrouvée dans les tests de Kamila de 2021.
Discordance dans les décisions: une "habitude"
Après examen du cas de la patineuse russe, le TAS a décidé d’autoriser Kamila Valieva à continuer de participer au tournoi olympique en solo. Ce qui a provoqué une réaction inattendue du Comité international olympique (CIO): en cas de victoire de celle-ci, l’instance refuse d’organiser une cérémonie de remise de prix. Pourtant, le CIO avait initialement promis d’orchestrer cette cérémonie dès que l’enquête serait terminée.
Pour Véronique Lebar, présidente du Comité éthique et sport, il n’est pas étonnant que le CIO, le TAS et le Comité antidopage aient des avis opposés sur l’affaire.
"C’est comme d’habitude. Les décisions sont discordantes, ce n’est pas nouveau. Chacun poursuit ses propres objectifs au-delà de la lutte antidopage. Il s’agit d’objectifs "autres": politiques, commerciaux, humains, éthiques", souligne-t-elle au micro de Sputnik.
La présidente précise que la décision du TAS de laisser Mlle Valieva de poursuivre la compétition "est quelque chose de bien".
"Dans l’urgence, ils ne peuvent pas statuer sur le fait de savoir si elle est vraiment dopée ou non. Il faut faire une enquête et l’entendre. Dans l’état actuel, ce n’est pas la peine de lui imposer un procès. On continue et on verra après."
Véronique Lebar reste certaine qu’à côté "des grandes causes éthiques affichées" existent "d’autres objectifs aussi importants, voire davantage selon les organismes" qui les poussent à prendre des décisions différentes et "parfois contraires à l’éthique".
"Le résultat a mis longtemps à être publié"
Le contexte plus général de l’incident est tendu. Il mêle de multiples paramètres, allant de la minorité de l’athlète aux tensions politiques internationales actuelles impliquant la Russie. Mais, comme le rappelle notre interlocutrice, "le cas n’est pas unique". Elle y fait référence à la suspension des bobsleighers russes en 2018 en raison de leur dopage aux jeux Olympiques de Sotchi.
"Je ne peux que parler pour la France. Mais parfois, il y a des résultats qui sont ébruités alors qu’ils ne devaient pas l’être. Ou quand on le sait au dernier moment [comme dans le cas présent, ndlr]. Le résultat a quand même mis très très très longtemps à être publié", estime la présidente de Comité éthique et sport.
Et de poursuivre: "même si la Russie n’a pas de laboratoire et qu’il a fallu envoyer les échantillons à Stockholm" [à l’Institut Karolinska où se trouve l’un des laboratoires antidopage de l’AMA, ndlr], le délai excédant un mois lui semble "bizarre". "On est quand même au XXIe siècle. C’est clair que ce n’est pas clair! C’est troublant!", s’exclame Mme Lebar.
"La fête est gâchée"
Avant sa prestation du programme court, la jeune patineuse s’était dite "heureuse d’être aux jeux Olympiques et de représenter son pays". Nul doute. Mais expliquer face au TAS que "la trimétazidine est entrée dans son organisme avec un "produit que son grand-père utilisait" a demandé une mobilisation de toutes ses forces psychologiques.
Pour Dorian Martinez, psychologue du sport et fondateur de Sport Protect, la décision du CIO de ne pas organiser de cérémonie en cas d’accès de Valieva au podium "fait peser un grand poids sur ses épaules".
"Cela pénalise –et c’est un moment unique dans l’histoire– ses adversaires qui seront privés de podium alors qu’elles n’auront été responsables de rien du tout. Cela peut faire peser une forme de culpabilité sur cette athlète, alors même que la décision du TAS s’appuie sur le texte de l’Agence mondiale antidopage qui dit que ‘la décision a été rendue pour protéger les sportifs mineurs’", avance au micro de Sputnik Dorian Martinez.
Il souligne "une sorte de paradoxe" dans le fait que trois instances –le CIO, AMA et TAS– ne s’entendent pas. "Cela jette le trouble pour l’ensemble des observateurs. Et c’est paradoxal par rapport à l’objectif initial de protéger un athlète mineur", assure notre interlocuteur.
"Elle se retrouve avec une victoire provisoire ou une victoire potentiellement transformable en défaite. Hors du propos ‘coupable ou non coupable’, objectivement, quoi qu’il arrive à partir de maintenant, la fête est gâchée. Il va y avoir de la suspicion. Malheureusement, cela montre une fois de plus la cacophonie qui entoure la lutte antidopage qui n’arrive pas à être plus claire et efficace", déplore le fondateur de Sport Protect.