Un juriste donne diverses raisons pouvant expliquer le test antidopage positif de la patineuse russe

Une ingestion non intentionnelle ou des concurrents seraient derrière le fait qu’un médicament interdit ait été retrouvé dans le test antidopage positif de la patineuse russe Valieva, selon un juriste du sport, qui estime "irréaliste" que "l'athlète soit reconnue d’intention coupable", étant donné toutes les circonstances de l’affaire.
Sputnik
La jeune patineuse russe Kamila Valieva, âgée de 15 ans, s’est retrouvée au centre d’un scandale antidopage lors des Jeux Olympiques qui se déroulent actuellement à Pékin. Alors que de nombreuses voix d’experts s’élèvent pour évoquer un scenario politique derrière les accusations contre l’athlète russe, dont le sort n’est pas fixé pour le moment, Sputnik a parlé avec Sergueï Alexeïev, juriste du sport et le chef de la Commission du droit du sport de l'Association du Barreau russe, pour savoir ce qui peut attendre la patineuse, son entourage et, dans ce contexte, la Russie.
Le 7 février, juste après l’épreuve par équipe où la jeune prodige a décroché l’or, le laboratoire antidopage de Stockholm a déclaré que son test fait le 25 décembre 2021 était positif, communiquant ainsi son résultat bien au-delà du délai établi de 20 jours.
Le lendemain, l’Agence internationale de contrôle (ITA) a informé le Comité olympique russe de la suspension provisoire de l’athlète sur décision de l’Agence antidopage russe RUSADA. Après avoir fait appel, la patineuse russe a ensuite été autorisée à s’entraîner à nouveau, en attendant la décision finale du Tribunal arbitral du sport (TAS).
"En désaccord avec cette décision, le Comité international olympique (CIO) et l'Agence mondiale antidopage (AMA) ont fait appel de la décision du Comité antidopage, assurant que la levée de la suspension était illégale. Le 13 février, l'affaire sera entendue par une chambre ad hoc du TAS. En raison de la pandémie, cela se fera à distance et une décision sera prise quant au maintien ou non de la suspension. Et la patineuse pourra alors continuer à se présenter jusqu'à ce que l'affaire soit entièrement examinée", explique Sergueï Alexeïev.

Des concurrents ou une ingestion non intentionnelle

Interrogé sur la nature des sanctions qui pourraient frapper la jeune athlète dans le cadre de cette affaire, le juriste russe a indiqué qu’elles n’auraient lieu que dans le cas où "l'athlète est reconnue d’intention coupable". Pourtant, il juge ce scénario "irréaliste".
"Cela est irréaliste, étant donné les propriétés du médicament, étant donné qu'une concentration minuscule en a été trouvée, étant donné que tous les échantillons prélevés lors des Jeux olympiques étaient propres", précise-t-il.
Ainsi, pour lui, il y a deux scénarios probables pour expliquer comment ce médicament a terminé dans l’organisme de la jeune prodige.
"Par conséquent, il ne peut s'agir que d'une ingestion non intentionnelle du médicament par l'athlète. Il se peut aussi que cette substance ait été mise en scène par des concurrents, ou que l'athlète ait consommé un produit approuvé +contaminé+, tel que de la nutrition sportive, un complément alimentaire, etc. C'est la seule raison pour laquelle sa suspension a été levée", explique Sergueï Alexeïev.
Il s'agit très probablement d'une ingestion non intentionnelle car la substance a été trouvée en quantité négligeable. Or, lorsqu'une drogue est prise intentionnellement, la concentration en est élevée, "mais ici la concentration était minuscule et les échantillons avant et après étaient propres", ajoute-t-il.
"Bien entendu, l'échantillon n'a pas pu avoir d'impact direct sur les Jeux olympiques, car le médicament est rapidement éliminé de l’organisme et n'a pas d'incidence a priori sur les résultats des Jeux olympiques", résume le juriste.

Quelles sanctions possibles?

"Dans cette optique, compte tenu du bilan positif de l'athlète en matière de réglementation antidopage, de l'absence de violation de sa part, du fait qu'elle est talentueuse et qu'elle entre dans la catégorie des athlètes protégés en raison de son âge, ce qui prédétermine des exigences plus clémentes en matière de preuve d'innocence, et au cas où une quelconque négligence serait constatée, la sanction irait d'un avertissement, sans perte de médaille ni annulation des résultats, à une disqualification, pour une durée maximale de deux ans, ce qui est peu probable compte tenu de toutes les raisons que j’ai énumérées", a détaillé l’interlocuteur de Sputnik.
Selon Sergueï Alexeïev, le fait que Kamila Valieva s'est vu permettre de poursuivre la compétition montre plutôt que la substance a été ingérée spontanément sans volonté délibérée de l'athlète et qu'il n'y a alors aucune responsabilité.
"S'il s'avère, compte tenu de la prépondérance des probabilités et du principe de la preuve dans cette situation, qu'il est très probable qu'elle ait été droguée ou qu'elle ait mangé un produit +contaminé+ non interdit d'une manière ou d'une autre, il n'y aura pas de responsabilité. Et il est probable que ce soit le cas, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire", conclut le chef de la Commission du droit du sport de l'Association du Barreau russe.

Des questions concernant le laboratoire

Le spécialiste rappelle que le laboratoire de Stockholm de l'université Karolinska, qui a analysé le test de Kamila Valieva, a déjà été sanctionné dans le passé, entre le 1er août 2018 et le 1er août 2019. Cette suspension temporaire a été mise en place en raison de la non-conformité de l'une des méthodes d'analyse des échantillons aux standards de l'AMA.
"L’autre point est qu'on contrôlera la qualité du travail du laboratoire antidopage puisqu'il arrive, quoique rarement, que des erreurs se produisent lors de l'analyse d'un échantillon. On ouvrira très probablement l'échantillon B, puis examinera le colis du laboratoire et la chaîne de contrôle, pour exclure toute possibilité d'erreur de la part du laboratoire."
L’interlocuteur de Sputnik évoque également le fait qu’il y a beaucoup de questions à poser au laboratoire qui a mis beaucoup de temps pour fournir le résultat de ce test.
"Habituellement, dans la pratique, il faut 10 jours, 20 jours au maximum [pour rendre le résultat, ndlr], à partir de la réception par le laboratoire , mais ici cela a pris un mois et demi. Et les résultats sont publiés exactement entre la victoire officielle de l'athlète et de son équipe et la cérémonie de remise des médailles, ce qui est un créneau de littéralement quelques heures. Et c'est à ce moment-là que la cérémonie de remise des prix est perturbée", décortique le juriste.

Un mineur exposé à des pressions

En guise de conclusion, le spécialiste a évoqué le fait que de toute manière, ce scandale antidopage laissera un préjudice moral. Il a précisé qu’il doit être dur pour une enfant de 15 ans de supporter une telle pression, d’être soumise à un tel harcèlement. De plus, cela secoue toute l'équipe, estime-t-il.
"Nous pouvons voir que les athlètes russes, les prétendants aux médailles, le jour après le scandale ont moins bien performé et ici, nous pouvons voir la relation de cause à effet et notamment la concurrence déloyale dans le sport, la pression, la violation de l'égalité des conditions de départ et, par conséquent, faire fléchir l'esprit de compétition par de telles attaques à base d’information non fondées", conclut Sergueï Alexeïev.
Pour rappel, le 7 février, Kamila Valieva, âgée de 15 ans, est devenue la première patineuse artistique à réussir un quadruple saut aux Jeux olympiques. Sa prestation a contribué à ce que l’équipe russe termine première de l'épreuve par équipe. Le 15 février débute l’épreuve individuelle de patinage pour laquelle Kamila Valieva est favorite.
Discuter