La polémique autour du test antidopage de Kamila Valieva, présenté comme positif par un laboratoire suédois, semble avoir des contours politiques. En cause: le délai de la présentation de son résultat qui dépasse toutes les normes, d’autant plus qu’il avait été effectué bien avant les Jeux olympiques d’hiver à Pékin. Pis encore, ses autres tests sont tous négatifs.
"C’est une question clé de savoir les raisons pour lesquelles ce test vient d’être pris en compte. Je pense que ce n’est pas un hasard. Selon les règles, quand les organisateurs d’une compétition, y compris les Jeux, n’ont pas de réclamation envers le sportif, il est admis", a déclaré Sergueï Dadyguine, expert en patinage artistique et journaliste sportif qui a assisté à 11 Jeux olympiques, dans un entretien accordé à Sputnik.
En effet, tous les tests antidopage effectués par Kamila Valieva et les autres athlètes ont été négatifs: "Ni le Comité international olympique (CIO), ni l’Union internationale de patinage (UIP) ne se sont opposés [à leur participation]", pointe-t-il.
Les autorités russes formant l’équipe olympique étaient donc persuadées que tout était en règle. Mais c’est le 7 février, juste après l’épreuve par équipe où la jeune prodige a décroché l’or, que le Laboratoire antidopage de Stockholm a déclaré que son test fait le 25 décembre 2021 était positif, soit bien au-delà du délai établi de 20 jours.
D’après l’instance, l’échantillon de Valieva contient de la trimétazidine, une substance figurant sur la Liste des interdictions 2021 de l'Agence mondiale antidopage (AMA), mais qui n’influence pas les performances sportives, selon les médecins.
Quant au retard dans la remise du résultat, le laboratoire se justifie par la vague épidémique de Covid-19, une explication qui ne tient pas debout:
"Cela dépasse toutes les bornes d’examiner le test pendant un mois et demi", tranche M.Dadyguine.
"Il est clair que ce test relève du championnat de Russie de patinage artistique", qui a eu lieu fin décembre, un tournoi qualificatif pour les Jeux olympiques. De plus, "il est évident qu’il fallait analyser ces tests rapidement pendant que l’équipe olympique se formait".
Déclarant ne pas croire à un accident, il est revenu sur une affaire qui a concerné la gymnaste russe Alina Kabaeva, survenue en 2001, à laquelle fait penser celle de Valieva.
Son test pris lors des Goodwill Games à Brisbane n’était revenu positif à une substance interdite par l’Agence mondiale antidopage (AMA) que trois mois plus tard, en plein Championnat du monde à Madrid où elle a remporté la médaille d’or.
Il s’agissait de furosémide, diurétique de l’anse qui n’est pas dopant lui-même mais favorise la perte de poids. Sa coéquipière Irina Tchachina avait également été positive. Toutes deux ont été privées de leurs médailles remportées à Brisbane et à Madrid et disqualifiées pour deux ans.
"C’est vraiment une situation identique. Il semble que quelqu’un ait patienté pour provoquer un scandale".
La piste de l’Occident?
"L’objectif de cette affaire est clair. Il s’agit d’une attaque ciblée et pensée contre le sport russe, tout en étant liée à la politique. Malheureusement, la politique intervient dans le sport. Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et d’autres pays s’opposent ainsi à la Russie et aux pays slaves", martèle-t-il.
Le spécialiste estime que cette attaque provient de l’AMA qui avait été auparavant présidée par un Canadien, un Australien et un Britannique, et, depuis 2020, par un Polonais. À leurs yeux, la Russie ne s’est pas suffisamment repentie de ses précédentes affaires de dopage lors des Jeux olympiques d’hiver en 2014 à Sotchi, suggère-t-il.
Puis, il met en valeur le fait que la raison du report de la cérémonie de remise des médailles de l’épreuve par équipe, à savoir ce test antidopage, a été initialement révélée par "Inside the Games", un média couvrant les actualités des Jeux olympiques, dont le rédacteur en chef est le journaliste britannique Dunkan Mackay. "On voit mieux les origines [de cette affaire]".
Dépouiller la Russie de ses médailles?
Pointant le niveau beaucoup plus élevé des patineuses russes que celui de leurs adversaires, dont l’équipe américaine arrivée deuxième, il a avancé que les Russes auraient remporté l’or dans n’importe quelle autre composition de l’équipe olympique. D’où la certitude de M.Dadyguine que cette affaire a été engagée délibérément:
"Il s’agit d’une campagne sciemment réalisée pour priver la Russie de la médaille d’or".
En plus de cela, le spécialiste a rappelé que le laboratoire avait enfreint lui-même les règles à l’encontre de la patineuse, en rendant le résultat trop tard, bien que sa crédibilité ne soit pas encore prouvée. Il se pose ainsi la question de la validité des données présentées par cette organisation suédoise, laquelle devrait être tranchée par le Tribunal arbitral du sport (TAS).
"Il y a trop d’incohérences et de nuances. La sportive est évidemment innocente. Notre délégation n’a rien violé car elle a présenté des sportifs ayant précédemment obtenu une autorisation totale".
Dans tous les cas, Kamila Valieva a été testée bien avant les Jeux olympiques, insiste-t-il, emboitant le pas au Comité olympique russe ayant rappelé le 11 février dans un communiqué que l’échantillon collecté le 25 décembre "ne correspond pas à la période des Jeux olympiques" et que l’athlète avait passé d’autres tests avant et après cette date, tous négatifs. Ainsi, quels que soient les résultats, ils n’ont aucun rapport avec les compétitions en cours.
Affaire Valieva
Le 7 février, participant à l’épreuve comptant pour la compétition par équipe, Kamila Valieva, âgée de 15 ans, est devenue la première patineuse à réussir un quadruple saut aux Jeux olympiques. Sa prestation a contribué à ce que l’équipe russe ait terminé première de l'épreuve par équipe.
Le lendemain, l’Agence internationale de contrôle (ITA) a informé le 8 février le Comité olympique russe de la suspension provisoire de l’athlète sur décision de l’Agence antidopage russe RUSADA. Après avoir fait appel, la patineuse russe a ensuite été autorisée à s’entraîner à nouveau en attendant la décision finale du Tribunal arbitral du sport (TAS).
Dans un communiqué publié ce samedi 12 février, l’instance a annoncé que la décision serait rendue le 14 février, la veille de l’épreuve individuelle de patinage pour laquelle Kamila Valieva est favorite.
Sergueï Dadyguine note que le procès peut prendre une tournure imprévisible si l’athlète ou son avocat réclament d’être présents à l’ouverture du flacon B au sein du laboratoire, une procédure à laquelle elle a droit. Dans ce cas, la décision judiciaire pourrait être reportée.
Réactions
Le Kremlin a exprimé son soutien "de manière absolument illimitée et complète" à l’athlète impliquée dans "un malentendu", a déclaré le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov.
Vendredi 11 février, la présidente du Conseil de la Fédération [l’équivalent du Sénat, ndlr] Valentina Matvienko a évoqué la possibilité de "manipulations de services secrets" dans cette affaire, rappelant le délai douteux de l’annonce des résultats.
Pour Mark Adams, le porte-parole du Comité international olympique (CIO), il s’agit de "spéculations" qu’il ne commente pas.