Après la guerre, il faut gagner la paix. Et pour Damas, cette tâche se révèle bien ardue. Pourtant, le gouvernement syrien s’y attèle depuis plusieurs années. Malgré la reprise de 75% du territoire, la Syrie fait toujours face à des incursions terroristes régulières. L’hydre djihadiste reste active et commet de nombreux attentats contre les troupes de l’armée arabe syrienne.
Outre le problème sécuritaire, Damas est en proie à une vive contestation dans le sud du pays. Soueïda, région à majorité druze, est l’épicentre d’un mouvement de colère contre la dégradation des conditions de vie. Les protestataires reprochent notamment au pouvoir syrien la suppression de 600.000 cartes d’approvisionnement permettant aux plus défavorisés de bénéficier de produits de base –riz, huile, sucre. Et ce alors même que la population subit de plein fouet la crise économique et la chute de la livre syrienne. En effet, le taux de change officieux sur le marché noir fluctue entre 2.500 et 3.600 livres pour un dollar (en 2011, avant le début de la guerre, le billet vert ne coûtait que 47 livres).
Damas envoie des troupes
Résultat, depuis quasiment une semaine, des centaines d’habitants de ce territoire descendent dans la rue en scandant des slogans ouvertement hostiles à Bachar el-Assad et à sa politique. Les manifestants ont même lancé des appels aux autres régions syriennes pour rejoindre le mouvement. Des barricades et des pneus brûlés ont bloqué la route menant à la capitale, à une centaine de kilomètres seulement. Damas a envoyé l’armée pour quadriller la zone et éviter les débordements.
Tous les ingrédients sont donc rassemblés pour que Soueïda devienne le nouveau Deraa, province où avait débuté la contestation en 2011. "Cette colère est légitime, on la comprend", affirme un membre du parti Baath, principale force politique de Syrie qui a préféré garder l’anonymat.
"Aujourd’hui, la situation est difficile pour tout le monde, on ne le nie pas. On le voit tous les jours: le manque d’électricité, le manque d’eau, le manque d’essence. Les Druzes du sud du pays ont rarement été un problème pour Damas, ils bénéficient d’une relative indépendance", souligne-t-il au micro de Sputnik.
La région méridionale syrienne s’était en effet quelque peu tenue à l’égard de la guerre civile syrienne. Initialement opposés à Damas, les habitants avaient finalement gardé une certaine neutralité en raison de l’islamisation de l’opposition. Soueïda a de surcroît toujours eu une relative autonomie vis-à-vis du pouvoir central.
Mais c’était sans compter la politique américaine. "Les sanctions aggravent la situation économique et exacerbent les tensions", ajoute l’homme politique syrien. Et c’est peu dire: en une décennie de conflit, les administrations américaines –démocrates et républicains confondus– ont tour à tour infligé des restrictions visant initialement les avoirs à l’étranger détenus par les membres du gouvernement syrien. Puis peu à peu, elles se sont étendues aux différents pans de l’économie syrienne. Mais c’est véritablement en juin 2020 qu’un coup de massue fut porté à Damas avec l’imposition de la loi César.
De la bouse de vache comme combustible
Ces sanctions ne soumettent ni plus ni moins la Syrie à un embargo. Le pays vit dans une quasi-autarcie en raison des difficultés financières ou de l’impossibilité à commercer avec l’extérieur. Par ricochet, ces mesures unilatérales impactent également les alliés de Damas, à savoir le Liban voisin mais aussi les pays qui souhaitent participer à la reconstruction de l’État syrien.
Notre source sur place y verrait une manière pour les États-Unis de ne pas totalement abandonner leurs objectifs initiaux.
"Par l’intermédiaire des sanctions, on sait pertinemment que les États-Unis ont toujours un moyen de négocier, un moyen de pression sur le gouvernement. C’est le peuple qui trinque. Les Américains veulent que le peuple se retourne contre Bachar, c’est aussi simple que ça", estime le militant du parti Baath.
90% des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté et les conditions sont encore plus dures pendant l’hiver. Le gaz est rationné, il n’y a qu’une heure d’électricité, l’essence est quasi introuvable. En raison de la montée des prix, les agriculteurs sont obligés d’utiliser de la bouse de vache comme combustible de chauffage. "La situation est explosive, toutes les régions bourdonnent dans le silence", nous apprend Fahed un habitant d’Alep.
En plus de l’imposition des sanctions, les Américains contrôlent, par le biais des forces kurdes présentes dans l’est de l’Euphrate, les ressources pétrolières syriennes. Damas se retrouve contraint d’importer l’or noir iranien et irakien. Cette situation catastrophique pousse même les jeunes à quitter le pays et ce, malgré la fin du conflit.
"La situation était meilleure pendant la guerre, là c’est intenable, beaucoup de jeunes font la queue pour demander un visa aux Émirats. Et d’autres continuent désespérément de prendre une route illégale par la mer ou la Turquie", s’insurge notre contact syrien.
Il est donc grand temps que la situation change pour la population syrienne à bout de souffle. Un infime petit espoir demeure tout de même avec le début d’évolution de posture de la part des États-Unis. Après avoir laissé entendre qu’ils faciliteraient l’envoi d’aide humanitaire, ils auraient convenu, lors d’un accord avec Moscou, de relâcher la pression avec les sanctions économiques.
Washington projette-t-il un second soulèvement en Syrie? Tout porte à croire que c’est bien le but tant chéri outre-Atlantique, Washington ayant appris parfaitement à provoquer des révolutions de couleur.