"Sa maniabilité et sa vitesse extrême lui permettent d’atteindre des cibles dans un rayon de 1.450 km", a indiqué le site iranien Sepah News. Avec sa nouvelle arme, Téhéran bombe le torse. Alors que les négociations sur le nucléaire iranien ont à peine repris à Vienne, le 8 février dernier, les Gardiens de la révolution, organisation paramilitaire de la République islamique d’Iran, ont annoncé le 9 février la création d’un nouveau missile de moyenne portée, susceptible d’atteindre Israël, l’ennemi juré des mollahs.
Selon le général Mohammad Bagheri, chef d’état-major des forces armées, il s’agit d’un engin stratégique dénommé "Kheybarchékan". Un nom qui ne doit rien au hasard. Kheybar renvoie à la bataille des partisans de Mahomet contre des Juifs installés en Arabie saoudite au VIIe siècle. Téhéran possède également des fusils d’assaut du même patronyme.
Cette innovation technologique iranienne a été dévoilée lors d’une visite sur une base de missiles sol-sol des forces aérospatiales des Gardiens, en présence du général Amirali Hajizadeh, chef du département aérospatial. Le Kheybarchékan peut percer un bouclier antimissile. Une menace à peine voilée à Israël, qui se targue d’être protégée par le "dôme de fer". Un dôme déjà ébréché au printemps 2021 par le Hamas.
Les États-Unis lâchent du lest avec l’Iran
"Ce n’est pas la première fois que l’Iran est dans la démonstration de force. Par le passé, Téhéran a déjà mis en avant ses nombreux missiles balistiques, c’est un coup de com’", observe Pierre Berthelot, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). Dans un passé pas si lointain, les Gardiens de la révolution avaient testé un missile de croisière d’une portée supérieure à 1.350 km. En décembre dernier, à l’issue de cinq jours de manœuvres militaires, Téhéran avait tiré une quinzaine de missiles balistiques qui avaient détruit une réplique du site nucléaire israélien de Dimona. L’Iran avait également mis une fusée sur orbite fin décembre. Cette opération était soupçonnée de servir de paravent aux ambitions balistiques, donc militaires, de Téhéran. Les dirigeants occidentaux, Américains en tête, avaient condamné ce lancement spatial.
Reste que la date de la divulgation de cette nouvelle arme n’est en rien anodine.
"L’Iran cherche à faire monter les enchères dans les négociations sur le nucléaire, c’est un bon timing, disons. Téhéran veut prouver qu’il reste ferme et martial dans sa posture. Et puis l’Administration américaine a besoin d’un succès international à la mi-mandat. Les actuels pourparlers indiquent que Washington serait plus à même de lâcher du lest", estime-t-il au micro de Sputnik.
Discrètement, sans annonce officielle, le département d’État américain avait indiqué qu’il renonçait aux sanctions sur le programme nucléaire civil de l’Iran, une dérogation qui permet à d’autres pays et entreprises de participer à des projets nucléaires non militaires sans déclencher de sanctions américaines à leur encontre.
Pour autant, Washington assure qu’il "ne s’agit pas d’une concession à l’Iran" ni d’un "signal indiquant que nous sommes sur le point de parvenir à une entente" pour ressusciter l’accord de 2015 censé empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique. "Nous n’avons pas accordé d’allègement des sanctions à l’Iran et nous ne le ferons pas tant que Téhéran ne respectera pas ses engagements dans le cadre du JCPoA" (acronyme anglais de l’accord), a tweeté plus tard le porte-parole du département d’État, Ned Price.
Missiles, la Corée du Nord aide Téhéran
Des engagements à géométrie variable pour les États-Unis, qui ont voulu par la suite inclure dans l’accord la politique étrangère iranienne et son programme de missiles balistiques, qui inquiète les pays occidentaux et leurs partenaires régionaux. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’effraient en effet de la prolifération de ces vecteurs dans la région.
Non content de s’être toujours refusé à cette redéfinition du périmètre de l’accord, avec ce nouveau missile, l’Iran "veut montrer à ses adversaires qu’il est en position de force et qu’il ne négociera jamais son système de défense", estime le chercheur. En effet, pour Téhéran, il s’agit ni plus ni moins d’un moyen de dissuasion vital.
"Il y a la symbolique de l’image. L’enrichissement d’uranium, c’est flou et complexe, alors que de montrer un missile, il y a un symbole guerrier. Aujourd’hui, son programme de missiles balistiques, c’est son assurance-vie", souligne le chercheur.
Soumis aux sanctions américaines depuis quatre décennies, l’Iran a su développer des missiles qui sont peu à peu devenus la pierre angulaire de sa politique régionale. Au fil du temps et au gré des innovations technologiques, les engins sont devenus plus précis, plus rapides, plus nombreux et leur portée n’a eu de cesse de s’étendre. Ils disposent de vecteurs dans deux des quatre classes de missiles, à courte (SRBM, jusqu’à 1.000 km) et moyenne portée (MRBM, jusqu’à 3.000 km). Leur manquent donc les missiles à portée intermédiaire (IRBM, jusqu’à 10.000 km) et longue (ICBM, plus de 10.000 km), moins utiles dans le cadre de leur politique régionale.
Pour développer ces programmes, l’Iran a pu s’appuyer sur ses liens avec la Corée du Nord. Pyongyanga en effet été l’un des principaux fournisseurs de Téhéran, avec Moscou et Pékin. De plus, la République islamique "a une force de frappe avec la technologie des drones", affirme Pierre Berthelot. Le drone est devenu l’arme à la mode sur tous les théâtres d’opérations et Téhéran s’impose comme un leader régional. "Nous avons des drones qui parcourent 7.000 kilomètres, volent, n’ont pas de pilote et atterrissent au même endroit [que celui d’où ils ont décollé, ndlr.] ou n’importe où ailleurs", a affirmé en juin dernier le général de division Hossein Salami, commandant en chef des Gardiens de la Révolution.
Drones et missiles sont également devenus les deux objets phares de "l’axe de la résistance". Cette alliance de milices, plus ou moins inféodées à Téhéran, reçoit des armes de fabrication iranienne. C’est notamment le cas du Hezbollah libanais, des Hachd el-Chaabi irakiens et des houthis yéménites. Ainsi, les insurgés d’Ansarallah multiplient-ils les attaques par drone en Arabie saoudite et aux Émirats.
Entre la militarisation de sa politique étrangère, la volonté d’arriver à un accord avec les États-Unis, le début d’ouverture avec ses anciens ennemis du Golfe, l’Iran "souffle un peu le chaud et le froid dans la région", indique Pierre Berthelot.
"Téhéran maintient un équilibre des forces et sait pertinemment jusqu’où il peut aller dans la provocation", conclut-il.
Reste à savoir si cette stratégie s’avérera payante avec Washington.