TikTok: la génération Z y est accro, mais à quel prix?
À l’instar du rappeur Kanye West, une multitude de parents s’alarment de voir leurs jeunes enfants sur le réseau TikTok. L’appli de vidéos courtes comporte de nombreux risques. Cyril Di Palma de Génération numérique analyse ce phénomène de société.
Sputnik"J’ai besoin de savoir ce que je dois faire pour que ma fille ne soit plus sur TikTok contre ma volonté." En
plein divorce avec l’influenceuse Kim Kardashian aux 285 millions d’abonnés sur Instagram, le
rappeur américain Kanye West s’est ému de voir sa fille North, âgée de 8 ans, publier des vidéos sur TikTok.
Si cette sortie peut paraître anecdotique, reste qu’elle souligne un phénomène mondial de fond: l’engouement des très jeunes pour cette appli chinoise, propriété de ByteDance. Alors qu’il est nécessaire d’avoir plus de 13 ans pour créer un profil, bon nombre de préadolescents contournent cette limite d’âge.
Les préados se ruent sur TikTok
En France, selon une étude de 2021 menée par l'agence Heaven, auprès de 2.000 jeunes de 11 ou 12 ans, 34% des sondés ont un compte TikTok. Marie, une lycéenne de 15 ans, confesse au micro de Sputnik que, lorsqu’elle s’est inscrite sur Musical.ly [qui a fusionné avec Tiktok, ndlr], elle n’avait que 11 ans. Début 2021, l’application a annoncé avoir fermé plus de 7 millions de profils appartenant à des mineurs de moins de 13 ans.
Cette plate-forme n’est pas sans risque. La lycéenne alerte ainsi sur les commentaires, "publiés par des rageux", qui peuvent être parfois "horribles et haineux". Des comportements qui l’incitent à la prudence: "Je ne recommanderais pas TikTok à mes frères et sœurs, car ils sont très jeunes." Sans compter que cela "peut créer beaucoup d’embrouilles qui passent du virtuel à la vraie vie. Ça peut être dangereux." Des cas de harcèlement qui mènent à des drames ont déjà défrayé la chronique.
Outre les commentaires désagréables, la jeune Toulousaine explique avoir dû réduire le temps passé sur TikTok: "À un moment, j’ai été addict. Je passais mes journées dessus. C’est pour cela que j’ai mis une limite de temps. Maintenant, je ne peux pas rester sur TikTok plus d’une heure."
"Le modèle économique des plates-formes repose sur l’attention. La manière d’agencer leurs boutons, de pousser des contenus ainsi que les algorithmes visent à garder les internautes le plus longtemps possible en ligne", rappelle au micro de Sputnik Cyril Di Palma, délégué général de Génération numérique.
Notre interlocuteur souligne le fait que TikTok a misé dès sa conception sur un "mode de consommation un peu différent des précédentes plates-formes". Ainsi, le format initial d’une minute correspondait "à un phénomène de zapping assez compulsif".
Cyril Di Palma estime cependant que c’est à "l’internaute d’être conscient" des écueils liés aux algorithmes de recommandation de contenus. Pour éveiller les consciences, Génération numérique organise des opérations de sensibilisation dans les classes.
Quelle incidence chez les plus jeunes?
"On explique par exemple en classe que, derrière cette gratuité de façade, il y a des enjeux économique et sociétaux liés à cette consommation qui paraît parfois futile et éphémère", précise le fondateur du Tour de France Internet des établissements scolaires.
"Cela ouvre les débats sur les conséquences des “partage”, des “like”. […] C’est aussi valable pour Instagram: quel est le rapport de l’internaute vis-à-vis de sa vie privée, de son corps, de l’acceptation de sa personne par le groupe? Sachant que, à l’adolescence, c’est très important d’être accepté par ses pairs."
Un article du
Wall Street Journal révélait que Meta a conscience
des dégâts causés par certaines de ses plates-formes. Selon le quotidien d’outre-Atlantique, lors d'une réunion en interne de 2019, une diapo d'Instagram portait ce commentaire d’une lucidité confinant au cynisme:
"Nous empirons le rapport à son corps d'une ado sur trois." Une autre diapo confessait:
"Les ados accusent Instagram d'augmenter les niveaux d'anxiété et de dépression."Sur France Inter, la chanteuse Adèle se réjouissait "de ne pas avoir eu TikTok plus jeune". Selon elle, "cela (l)’aurait conditionnée, à une façon différente de (se) regarder dans le miroir".
Pourtant, si les dangers sont nombreux, TikTok est de plus en plus populaire.
Une croissance fulgurante
Mark Zuckerberg ne s’y trompe pas: "Les gens ont beaucoup de choix sur la façon dont ils veulent passer leur temps. Et des applis comme TikTok grandissent très vite." Alors que Facebook perdait des utilisateurs pour la première fois de son histoire.
Selon le dernier rapport de l’agence We Are Social, TikTok a gagné 650.000 utilisateurs par jour lors du dernier trimestre 2021. Depuis sa création en 2016, l’application a dépassé les 3 milliards de téléchargements cumulés et compte 1 milliard d’utilisateurs mensuels actifs. Côté financier, l’horizon semble également au beau fixe: avec
215% de croissance, d’après le classement Brand Finance Global 500, TikTok connaît la progression la plus rapide du monde, en passant de 18,7 milliards à 59 milliards de dollars de valorisation. Comment expliquer un tel plébiscite?
Cyril Di Palma explique que cela tient notamment au fait que l’application surfe sur l’un des principaux centre d’intérêt de la jeunesse: la musique.
"Le socle historique de TikTok était fondé sur les accords musicaux. TikTok avait ce credo de proposer aux internautes de reproduire les chorégraphies de leur star préférée, principalement de la musique urbaine."
La recette de la viralité.
TikTok serait donc devenu un des nouveaux lieux de socialisation. En témoignent également les nombreux challenges que se lancent les internautes. Ces défis participeraient à "la construction des jeunes", affirme Cyril Di Palma. "On a tous des rites de passage, on est dans une démarche adolescente, les challenges font partie du dispositif habituel des ados de se montrer plus mature, plus grand, plus fort que les autres", détaille-t-il.
Des outils professionnels à disposition des internautes
En outre, le délégué général de Génération numérique souligne que la palette technique (filtres, retouches, etc.) de l’application exerce une implacable attractivité. "C’est la première plate-forme à offrir au grand public des outils qui sont normalement réservés aux cinéastes avec des effets spéciaux de haut vol. Il y a donc un intérêt créatif à utiliser TikTok, c’est ce qui a encouragé les jeunes à recourir à ses services", constate Cyril Di Palma.
Marie abonde dans ce sens. Elle loue la créativité de certains tiktokeurs et la possibilité pour eux "de se faire connaître et d’élargir leur communauté". "Il y a de très belles vidéos d’“acting” où ils présentent par exemple des scènes qu’ils ont inventées", poursuit-elle.
Outre, ce type de contenu, Marie explique que ce qui l’intéresse sur ce réseau social, ce sont les vidéos humoristiques, culinaires, celles qui traitent de son sport préféré, le volley-ball, et de voyages à l’étranger.
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N'importe qui, parce qu'il a envie de communiquer sur quelque chose, peut directement, avec son téléphone, enregistrer, éditer et publier un contenu. C'est la reprise en main de l'utilisateur comme créateur, avec cette capacité d'émerger sur une plate-forme au même titre que des célébrités", résume pour
Europe 1, Grégory Bley-Desforges, un des responsables de TikTok en France.
Nul doute que TikTok a de beaux jours devant elle… jusqu’à ce qu’une nouvelle application la détrône auprès des plus jeunes.