Explosion du marché du cannabis thérapeutique en Israël: un modèle pour la France?

Israël rêve de devenir un leader mondial du cannabis médical. Notamment grâce à la ville de Yeruham, premier incubateur technologique de cannabis médical du pays. Un possible exemple pour d’autres pays, dont la France.
Sputnik
En plein cœur du désert du Néguev, la petite ville de Yeruham. Peuplée de seulement 12.000 habitants, cette bourgade ambitionne pourtant de devenir la capitale nationale du cannabis thérapeutique.
Un pari risqué pour une structure si petite et située en plein désert. Pourtant, nombre d’acteurs affirment être convaincus de la pertinence du projet, tant au niveau médical qu’économique. "Nous avons décidé de faire du cannabis médical le cœur de notre activité, ici à Yeruham, l’une des villes les plus périphériques d’Israël, une ville oubliée", a déclaré à l’AFP Zvi Bet Or, fondateur de CanNegev, une startup qui espère devenir un leader national puis mondial du cannabis thérapeutique.
Cette ambition de l’entrepreneur israélien ne vient pas de nulle part. Récemment, Israël a mis en place une nouvelle législation facilitant la production et la commercialisation du cannabis thérapeutique. Selon les officiels et les acteurs israéliens du cannabis médical, cette législation devrait entraîner une croissance exponentielle du marché.

Premier importateur mondial de cannabis médical

Désormais, Yeruham est le premier incubateur technologique de cannabis médical du pays. "Mon rêve est de faire de Yeruham la capitale du cannabis médical en Israël", déclare à l’AFP sa maire, Tal Ohana, 37 ans, à l’origine du projet. "Ce n’est pas tous les jours qu’un nouveau marché voit le jour en Israël, je me suis dit qu’il fallait tout faire pour être à l’avant-garde."
Et le pari pourrait s’avérer payant, car Israël est un leader mondial dans le domaine. L’usage récréatif du cannabis est illégal, mais toléré en Israël. Cependant, les autorités encouragent son utilisation thérapeutique depuis une dizaine d’années pour traiter des états médicaux graves et le stress post-traumatique, notamment chez d’anciens soldats. En 2015, les médecins en ont prescrit à 25.000 patients atteints de cancer, d’épilepsie, de stress post-traumatique ou de maladie dégénérative.
Interdire la vente des fleurs de CBD, un arrêté "extrêmement cynique" du gouvernement?
Selon les données du ministère de la Santé, Israël a importé pas moins de 22 tonnes de cannabis médical en 2021 (contre un peu plus de 14 tonnes en 2020), ce qui en fait le premier importateur mondial, selon le Israeli Cannabis Magazine. "L’écosystème du cannabis médical a bénéficié de 60 millions de dollars [environ 53 millions d’euros, ndlr] d’investissements ces dernières années, il compte 220 chercheurs et environ 100 startups, dont un quart ont été créées en 2019", souligne Dana Gourevich, directrice de la technologie à l’Autorité israélienne de l’innovation.

Cannabis médical, en France, "ça bouge aussi"

Une dynamique emmenée par des efforts aussi bien privés que publics et qui inspire Franck Milone, fondateur de "LaFleur", laboratoire français spécialisé dans le cannabis médical. À 30 ans, cet homme qui fait face à une sclérose en plaques entend devenir l’un des acteurs incontournables du secteur en développant une filière de culture et de production de médicaments à base de fleurs de cannabis et de ses deux molécules, le THC et le CBD. Pour lui, la France a peut-être des leçons à tirer des Israéliens sur cet enjeu du cannabis thérapeutique.
"C’est salvateur pour l’innovation d’avoir des incubateurs spécialisés autour de la thématique du cannabis médical. Si ce genre d’initiative peut faire émerger des sociétés innovantes qui peuvent agir dans l’intérêt du patient, c’est super", se réjouit-il au micro de Sputnik.
"En France, il y a des environnements et des incubateurs qui peuvent servir au développement de la filière du cannabis médical. Ça bouge ici aussi", rappelle-t-il. Néanmoins, "ce qu’il faudrait en France, c’est plus de capitaux privés et davantage de visibilité sur les évolutions réglementaires sur la production, la consommation et à l’exportation du cannabis médical."
En mars 2021, le gouvernement autorisait de façon très limitée l’usage de cette plante à usage thérapeutique. Celui-ci est ainsi permis dans cinq indications: les douleurs neuropathiques réfractaires aux traitements accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et résistantes aux médicaments, certains symptômes rebelles en oncologie, certaines situations palliatives et la spasticité douloureuse accompagnant certaines maladies du système nerveux central.

Le flou législatif freine les initiatives

Concernant l’usage récréatif du CBD –ou cannabidiol–, la molécule non psychotrope du cannabis également utilisé dans le cadre récréatif, le cadre juridique est encore plus flou. Après avoir légalisé la commercialisation de cette fleur, le gouvernement en a finalement interdit la vente par arrêté au mois de janvier 2022. C’était sans compter sur la décision de la justice européenne puis celle de la Cour de cassation, qui ont suspendu l’arrêté gouvernemental au motif de la libre circulation des marchandises.
Un flou législatif et un manque de visibilité qui ralentissent de manière conséquente le développement d’un marché prometteur, estimé à l’échelle mondiale à 16,47 milliards de dollars pour l’année 2021. D’ici 2026, ce chiffre pourrait atteindre 46,18 milliards de dollars.
"Il est difficile pour les capitaux privés, nationaux ou étrangers, d’investir en France alors que ceux-ci n’ont pas de visibilité à terme sur les réglementations en place. Ils ne peuvent pas mettre des dizaines de millions d’euros sans cette évolution", constate avec amertume l’entrepreneur français.
Une situation d’autant plus regrettable qu’au-delà de l’aspect économique, il y a une réelle plus-value médicale. "Ça fait une dizaine d’années que j’ai une sclérose en plaques", explique Franck Milone, et après avoir tenté cette thérapie, il "ne doute plus des bienfaits du cannabis médical."
Réaliste, il consent que "le cannabis médical ne va pas sauver tout le monde, mais le retour d’expérience montre qu’il est efficace et apporte une amélioration de la qualité de vie des gens." De Harvard à l’université Hébraïque de Jérusalem, quantité d’études mettent en avant les bénéfices de ces thérapies.
"En Allemagne, c’est là où il y a le plus de prescriptions en Europe, et ça marche. Les patients qui sont atteints de maladies graves ont accès au cannabis médical sont même pris en charge par le système de santé. Ce qui n’est pas encore le cas aux États-Unis ni en Israël", souligne Milone.
Ce dernier ne perd toutefois pas espoir: "de 2014, lorsque j’ai créé la société, à 2017, les mentalités ont déjà évolué." Ça bouge donc dans le bon sens, selon lui. Ainsi, il se pourrait bientôt qu’en France, pour vos inflammations, votre médecin vous prescrive du cannabis.
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