Depuis son apparition après la Seconde Guerre mondiale en Amérique du Nord, le management néolibéral traditionnel a cultivé autour de l’image du leader de véritables cultes de l’individu exceptionnel, du héros créateur et demi-dieu et du bâtisseur d’organisations.
Ainsi, dans le cadre de cette culture de quasi "déification" du leader et du gestionnaire, comment s’organise la communication au sein de l’entreprise? Comment s’intègre-t-elle dans la dynamique qui régit les organisations en vue de la réalisation des tâches, notamment celles liées à la production et à la distribution? Quelles sont les informations utiles à l’accomplissement des tâches? Quel est le canal le plus adéquat pour transmettre un ordre en entreprise?
Dans ce 33e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC au Québec, affirme auprès de Sputnik que "la communication dans les entreprises, telle que théorisée et enseignée par les écoles de gestion et de management néolibéral, est conçue comme un message transmis par un émetteur à un récepteur à travers des canaux, comme dans toute machine construite selon les règles de la cybernétique et de l’intelligence artificielle".
"Une vision mécaniste"
"Pensée comme un outil de production par le management néolibéral, la communication en entreprise repose sur une vision mécaniste qui évacue complètement la dimension humaine, alors que normalement elle doit, par cette dimension, sous-tendre toutes les relations entre dirigeants et dirigés", explique le professeur Omar Aktouf.
Et d’ajouter qu’"en théorie de gestion néolibérale, la communication correspond à la représentation de l’organisation comme machine, dont les premiers auteurs classiques comme Taylor et Fayol sont les fondateurs. Néanmoins, chez des penseurs contemporains comme Mintzberg, la communication découle d’une vision mécaniste plus sophistiquée qui compare l’organisation à un cerveau ou à un ordinateur ou encore à une configuration, supposant que l’émetteur fait quelque chose au receveur à travers le message qu’il envoie".
Dans le même sens, il indique qu’"ainsi définie, la communication se concentre sur le message qui est en quelque sorte le réceptacle de la signification créée par l’émetteur, le dirigeant-leader, chez le récepteur, l’ouvrier ou l’employé, investi de la tâche à exécuter. Ainsi, le dirigeant agit sur son subordonné en transmettant la signification qui est présentée comme une réalité objective qu’il suffit de décoder et d’appliquer".
Dans ces conditions, continue-t-il, "il y a lieu de constater que l’organisation est alors divisée entre ceux qui savent, les leaders, et ceux qui réalisent, les travailleurs - entre ceux qui émettent et ceux qui reçoivent les messages, les décodent et les exécutent. Ainsi, nous retrouvons la même division du travail qui concentre le pouvoir absolu et légitime entre les mains de la direction qui délègue des responsabilités à certains membres de l’organisation".
Communiquer, c’est "mettre en commun"
D’un point de vue étymologique, le terme communication, selon Omar Aktouf, "porte le sens de +mettre en commun+ et de partager. Pourtant, il est facile de constater que la communication organisationnelle telle qu’elle est conçue et traditionnellement enseignée et pratiquée vise bien plus le contrôle et la domination que la réelle et indispensable mise en commun. Cela a souvent pour effet de faire de cette communication un acte de violence symbolique vu, perçu et vécu par les employés ou, même, de harcèlement psychologique et moral, car trop souvent, la distance entre ce qui est dit et ce qui est fait n’est que trop évidente ou trop grande".