"Je suis extrêmement satisfaite de voir que les autorités maliennes ont posé cet acte nécessaire qui, non seulement lave l’honneur des Africains totalement mis à mal par l’attitude servile de nos chefs d’État qui adorent servir de paillasson aux dirigeants français, mais aussi impose le respect à la France et à tous les États occidentaux qui ont trop souvent l’habitude d’avoir une attitude condescendante, méprisante, arrogante et paternaliste envers les Africains, gouvernants comme populations", a réagi Nathalie Yamb, interrogée par Sputnik.
Déjà dans une vidéo diffusée le 12 janvier sur sa chaîne YouTube, cette célèbre militante panafricaniste, s’exprimant sur la situation au Mali, recommandait l’expulsion de l’ambassadeur de France et le départ des forces Barkhane et Takuba.
"Autant que je me souvienne, en Afrique dite francophone, dans la zone franc CFA, c’est une décision inédite, qui survient à la suite des propos totalement outranciers d’Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, depuis plusieurs mois. J'espère que cette escalade entre les deux pays ira jusqu’à la rupture totale. Comme j’aime à le répéter, on ne divorce pas à 20, 30 ou 40%. On divorce, point", a-t-elle poursuivi.
Elle soutient que ce à quoi nous assistons actuellement, "ce n’est pas seulement à l’agonie des rapports entre le Mali et la France mais [bien plus, ndlr] à l’écroulement de la mainmise coloniale française sur l’Afrique".
Et le Mali, ajoute-t-elle, "est aujourd’hui le fer de lance de cette lutte d’émancipation et d’autodétermination. Ce qui s’y passe occasionnera forcément un effet domino en Afrique dite francophone. D’ailleurs, cela a déjà commencé avec la reprise en main du pouvoir par les militaires dans plusieurs pays. Finalement, je me plais à espérer que nous témoignerons vivants, du décès de l’empire françafricain qui ne voulait pas mourir".
Par ailleurs, Nathalie Yamb estime qu’il faut aux pays africains "un moratoire d’une quinzaine d’années avec la France".
"Au bout de cette période, on fera le bilan et on verra bien qui rit et qui pleure. Je l’avais énoncé en octobre 2019 au sommet de Sotchi, l’architecture néocoloniale française repose sur trois piliers: le pilier monétaire, le pilier militaire et le pilier diplomatique. Les autorités maliennes sont en train de rompre les chaînes diplomatiques et militaires. Il nous reste maintenant à cisailler la chaîne monétaire. Et je pense que les sanctions illégales de kidnapping des avoirs maliens à la BCEAO [Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, ndlr] prises par l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine, ndlr] à Accra le 9 janvier vont aussi permettre de réaliser cela plus rapidement que certains ne le prévoient", en est-elle persuadée.
Une "humiliation"
Le 31 janvier, dans un communiqué lu à la télévision nationale, les autorités maliennes ont annoncé l’expulsion, dans un délai de 72 heures, de l’ambassadeur français Joël Meyer, en poste depuis octobre 2018.
Cette mesure, a justifié le gouvernement, "fait suite aux propos hostiles et outrageux tenus récemment par le ministre français des Affaires étrangères et à la récurrence de tels propos par les autorités françaises, en dépit des protestations maintes fois élevées". En effet, trois jours auparavant, Jean-Yves Le Drian, intervenantsur une radio française, avait déclaré que la situation dans le pays sahélien est "intenable" et que les décisions des autorités maliennes, notamment de renvoyer chez eux les soldats danois de la force Takuba, étaient "irresponsables et prises par une junte illégitime".
L'État français, qui dit avoir "pris note" de l’expulsion de son diplomate, l’a rappelé à Paris.
Si du côté des militants panafricanistes et de nombreux internautes africains, l’heure est à la réjouissance, cette expulsion étant perçue comme un pas décisif dans la lutte pour "l’émancipation" et "l’autodétermination", du côté de la classe politique française, elle est vécue comme une humiliation.
"Jamais la France n’avait été confrontée à une telle crise politique en Afrique, même s’il est déjà arrivé qu’un Président africain, à l’exemple du Sénégalais Abdoualye Wade, demande à Paris, avec insistance, le remplacement d’un ambassadeur.Cette expulsion met fin aux relations diplomatiques entre la France et le Mali. Il n’existe pas plus sévère mesure en droit international contre un État. Elle sera perçue par Paris comme une humiliation. Une de plus, une de trop! Elle sera difficile à avaler, d’autant plus qu’elle entraînera des répercussions sur la force Takuba que la France a eu tant de mal à mettre en place avec ses partenaires européens", déclare Emmanuel Desfourneaux, directeur de l’Institut afro-européen de Paris interrogé par Sputnik.
Si la France souhaite un jour restaurer ses relations fortement détériorées avec le Mali et les États africains, soutient Emmanuel Desfourneaux, il lui "faut prendre sa part de responsabilité". "Toutefois, il y a peu de chances qu’Emmanuel Macron prenne une telle décision. Ce serait aussi se désavouer car sa responsabilité est grande dans le désastre français en Afrique, analyse-t-il".