Le Président israélien Isaac Herzog avait sans doute rêvé d’un meilleur accueil aux Émirats arabes unis. Alors qu’il était reçu en grande pompe au palais du prince héritier d’Abou Dhabi, aux accords de l’Hatikva, l’hymne national de l’État hébreu, la monarchie émiratie était de nouveau visée par une salve de missiles houthis. "Des cibles importantes ont été touchées dans l'émirat d'Abou Dhabi, avec un certain nombre de missiles balistiques Zulfiqar. [...] Des cibles sensibles ont été touchées dans l'émirat de Dubaï avec un certain nombre de drones Samad 3",a affirmé le porte-parole des forces armées yéménites, le général de brigade Yahya Saree. Et ce dernier d’ajouter que les houthis continueraient leurs attaques contre les Émirats tant que ces derniers s’impliqueront au Yémen.
"Les défenses antiaériennes ont intercepté et détruit un missile balistique lancé par les terroristes houthis visant notre pays", a indiqué le ministère émirati de la Défense. De ce fait, le programme de la visite israélienne n’a pas été pour autant chamboulé. D’ailleurs, Abou Dhabi s’est dit prêt "à faire face à toute menace".
Les États-Unis ne respectent pas les clauses de l’accord
Face à l’attaque, Israël et les Émirats ont fait front commun. Le Président israélien a tenu à afficher son soutien à ses hôtes. "Nous soutenons pleinement vos exigences de sécurité et condamnons sous toutes les formes et expressions toute atteinte à votre souveraineté par des groupes terroristes." Mohammed Ben Zayed a remercié l’État hébreu pour sa "solidarité" face à "l’attaque terroriste", saluant "la communauté d’opinion" face à de telles menaces.
Pourtant, malgré cette unanimité, la coopération bilatérale ne serait pas si fructueuse qu’elle en a l’air, à en croire Marc Martinez, spécialiste du Golfe persique et consultant auprès de groupes internationaux.
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"Si les Houthis s’invitent dans l’actualité, cela n’a rien à voir avec la venue du Président israélien. La visite d’Isaac Herzog est bien sûr très symbolique, mais les accords d’Abraham ont déjà montré leurs limites. Il n’y a pas eu l’effet domino escompté [de reconnaissance de l’État hébreu au Moyen-Orient, ndlr], même parmi les pays avec lesquels les Émirats entretiennent des relations de quasi-vassalité", souligne-t-il au micro de Sputnik.
Depuis le 15 septembre 2020 et la signature des accords d’Abraham sous la houlette de Washington, normalisant les relations entre l’État hébreu et les Émirats, les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. Pourtant, la diplomatie israélienne s’active. En juillet dernier, elle a inauguré son consulat et son ambassade à Abou Dhabi. Pour l’heure, il y aurait eu "1 milliard de dollars d’échanges d'après les chiffres officiels", précise l’analyste. Le Premier ministre Naftali Bennett avait également fait le déplacement en décembre dernier pour renforcer les échanges commerciaux.
"250.000 Israéliens ont visité les Émirats depuis 2020", rappelle Marc Martinez avant de préciser que les exigences étaient à la baisse. Et ce, en dépit du Covid. Outre la culture et la participation d’Israël à l’exposition universelle d’Abou Dhabi, les deux pays envisagent de renforcer leur coopération commerciale par le biais des compagnies dubaïotes DP World et DoverTower. Dans le domaine des hautes technologies, le groupe émirati EDGE a conclu un accord avec Israël Aerospace industries (IAI), afin de développer un système aérien et anti-aérien sans pilote avancé.
En novembre dernier, les deux pays ont participé avec Bahreïn à leurs premières manœuvres navales conjointes en mer Rouge, sous la supervision de la marine américaine. Mais Abou Dhabi resterait tout de même sur sa faim.
"L’objectif des Émirats était surtout de bénéficier de cette reconnaissance pour vaincre les dernières réticences du Congrès américain et obtenir l’autorisation d’importer des armes de même niveau que celles qui sont vendues aux Israéliens. Ici aussi, les accords d’Abraham peinent à apporter les résultats escomptés", estime le spécialiste du golfe Persique.
En effet, suite à l’accord de normalisation avec l’État hébreu, Washington s’était engagé à vendre 50 avions de combatF-35A et 18 drones MALE [moyenne altitude, longue endurance] MQ-9B Sea Guardian aux Émirats arabes unis. Abou Dhabi voulait donc à tout prix conclure le marché avant le départ de Donald Trump. Cet empressement était justifié par la crainte de voir le nouveau Président démocrate revenir sur cet accord. Une crainte plus que justifiée! À peine investis, plusieurs élus démocrates ont évoqué le dossier yéménite, l’implication émiratie en Libye, et même une remise en cause de l’engagement de Washington à garantir la supériorité opérationnelle d’Israël dans la région, dans le cadre du Qualitative Military Edge (QME).
Une fois à la Maison-Blanche, Joe Biden a imposé un moratoire sur les ventes d’armes destinées aux Émirats arabes unis. Pour l’heure, rien n’a été livré. Et pour accentuer la pression sur Abou Dhabi, les États-Unis ont exigé de retirer de son réseau 5G tous les équipements fournis par le groupe chinois Huawei. Ainsi, les États-Unis n’ont pas respecté les termes des accords d’Abraham.
20 milliards de dollars d’échanges entre les Émirats et l’Iran
La posture émiratie reste aussi complexe que fragile. En rapprochant certains pays arabes et Israël, Washington espérait former un axe contre Téhéran. Mais Abou Dhabi n’a pas les mêmes vues géopolitiques que Tel-Aviv. En effet, discrètement, les Émirats se rapprochent de l’Iran avec des visites et des rencontres qui se multiplient. D’ailleurs, le conseiller émirati à la Sécurité nationale, le cheikh Tahnoun ben Zayed, s’est rendu le 6 décembre à Téhéran. Celui qui n’est autre que le frère du prince héritier Mohammed ben Zayed (MBZ) y a rencontré plusieurs officiels iraniens, dont le Président Ebrahim Raïssi. Une première en cinq ans.
"Les Émirats arabes unis ont avec l’Iran une relation empreinte de pragmatisme. Leur interdépendance est telle que, au-delà de joutes verbales, aucun des deux pays n’a intérêt à combattre l’autre", résume Marc Martinez
Et pour cause, le volume des relations commerciales irano-émiraties pourrait atteindre jusqu’à 20 milliards de dollars pour l’année fiscale qui finit en mars 2022. Pour freiner cette collaboration officieuse, Washington avait fait planer la menace de restrictions économiques supplémentaires.
Malgré la présence d’une importante diaspora iranienne aux Émirats, ces activités économiques subissent tout de même le contrecoup de la politique américaine. Il ne reste plus que deux établissements bancaires iraniens à Dubaï: Saderat et Melli.
Même si les rencontres se multiplient entre les deux nouveaux alliés israélien et émirati, les divergences restent nombreuses sur la question iranienne. Tel-Aviv est partisan d’une ligne dure à l’égard de Téhéran sur le dossier du nucléaire alors qu’Abou Dhabi multiplie les signes d’apaisement avec le pays des mollahs.