Le roman graphique sur l'Holocauste "Maus", nouvelle victime de la guerre scolaire aux États-Unis

Face à la polémique, le conseil d'école du comté de McMinn, dans le Tennessee, a justifié le retrait en jugeant le livre "pas approprié pour être étudié par nos élèves" à cause de son "utilisation inutile de propos grossiers et de nudité, et sa description de violences et de suicides".
Sputnik
Le conseil d'école d'un comté du sud des États-Unis a banni le roman graphique sur l'Holocauste au succès planétaire "Maus" pour son contenu jugé "inapproprié", nouvel épisode de la guerre des programmes scolaires lancée par des Etats conservateurs américains.
Dans ce livre, le dessinateur Art Spiegelman raconte les souvenirs bouleversants de son père rescapé de la Shoah, dans lesquels les juifs sont représentés par des souris, les nazis par des chats.
Récompensé par un prix Pulitzer en 1992, une première pour une bande dessinée, "Maus" a été traduit dans plus de 20 langues.
Mais son contenu est "vulgaire et inapproprié" pour des collégiens de 13 ans, a estimé le conseil d'école du comté de McMinn, dans le Tennessee, qui a voté le 10 janvier pour le retirer du programme en attendant de trouver un autre livre sur l'Holocauste. Selon le compte-rendu de la réunion, huit mots vulgaires et une image de femme nue étaient concernés.
Interrogé jeudi par la chaîne CNN, Art Spiegelman a dit avoir été plongé dans une "confusion totale" avant d'"essayer d'être tolérant avec ces gens qui pourraient ne pas être des nazis" mais "qui se sont concentrés sur quelques mots grossiers".
Face à la polémique, le conseil d'école a justifié le retrait en jugeant le livre "pas approprié pour être étudié par nos élèves" à cause de son "utilisation inutile de propos grossiers et de nudité, et sa description de violences et de suicides".
Le conseil a assuré ne pas minimiser la valeur pédagogique de "Maus", ni contester l'importance d'enseigner "les leçons historiques et morales ainsi que les réalités de l'Holocauste".
"Nous avons le devoir de nous assurer que les jeunes générations apprennent de ces horreurs pour faire en sorte qu'un événement de cette nature ne se répète jamais", ont ajouté ses membres dans un communiqué.
Le musée de l'Holocauste de la capitale Washington a pourtant souligné sur Twitter que "Maus" jouait "un rôle vital" pour l'enseignement de la Shoah "en partageant des expériences détaillées et personnelles des victimes et des survivants".
"Etant donné le manque prononcé de connaissance de l'Holocauste aux États-Unis, particulièrement chez les jeunes Américains, la décision (du conseil scolaire de McMinn, ndlr) dépasse l'entendement", a réagi dans un communiqué à l'AFP David Harris, le directeur général de l'American Jewish Committee (AJC), l'une des plus anciennes organisations américaines de défense de la cause juive.
Le livre "explique ce qui est arrivé à des millions de Juifs européens aux mains du régime génocidaire de l'Allemagne nazie", a-t-il ajouté, alors que se tenait jeudi le 77e anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, où étaient internés les parents d'Art Spiegelman. Cette date est depuis devenue la Journée de commémoration de l'Holocauste.

Guerre des programmes scolaires

Le retrait de "Maus" intervient dans un contexte de remise en question de l'enseignement dans les États américains conservateurs, qui s'attaquent aux livres traitant de sujets allant du racisme à l'identité de genre.
Selon leurs détracteurs, ces œuvres incitent notamment les enfants blancs à se voir comme des oppresseurs des minorités. Ces militants conservateurs dénoncent la "théorie critique de la race", un courant de pensée qui analyse le racisme comme un système, avec ses lois et ses logiques de pouvoir, plutôt qu'au niveau des préjugés individuels.
Certains États, comme la Floride ou le Wisconsin, ont ainsi introduit des textes de loi interdisant aux écoles d'enseigner qu'un individu, peu importe "sa couleur de peau, son sexe ou son origine", soit "par nature raciste, sexiste ou oppresseur, consciemment ou inconsciemment".
Un autre classique de la littérature, le roman "Beloved" de l'Afro-Américaine Toni Morrison, a lui aussi récemment fait l'objet d'une polémique. Une mère d'élève de Virginie (sud) a affirmé que son fils lycéen avait fait des cauchemars après avoir lu le livre, qui raconte l'histoire d'une ancienne esclave choisissant de tuer son enfant pour éviter qu'il ne subisse les atrocités de l'esclavage.
Mais ces assauts contre des œuvres culturelles ne sont pas l'apanage des conservateurs. "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" de Harper Lee ou "Les Aventures de Huckleberry Finn" de Mark Twain, monuments des lettres américaines, ont été retirés des listes de lecture obligatoires par plusieurs conseils d'école ces dernières années car jugés insultants pour les Afro-Américains.
Discuter