"Merci et dormez bien".
Tels ont été les mots de clôture de la conférence de presse de Dimitri Kozak le 26 janvier. Devant une vingtaine de journalistes, qui sous les ors de l’hôtel d’Estrées ont fait le pied de grue l’après-midi durant, le chef adjoint de l’Administration du Président russe n’a pas manqué de faire part de sa déception à l’issue de la réunion en "format Normandie". Et pour cause, à en croire ses dires, la montagne a accouché d’une souris.
"Le résultat de ces huit heures de discussion que nous avons eues, c’est une demi-page", tance-t-il, en référence à la lacunaire déclaration commune publiée à l’issue de la rencontre. Dans celle-ci, les quatre conseillers des Chefs d’État et de gouvernement rappellent que les accords de Minsk sont "la base du format Normandie" et réitèrent leur "soutien inconditionnel" au cessez-le-feu du 22 juillet 2020. On semble bien loin de la rencontre de "sortie de crise" attendue.
Au cours de ces négociations-fleuves, Français, Allemands, Ukrainiens et Russes ne seraient ainsi parvenus qu’à s’entendre sur leurs "divergences d’interprétation" des accords de Minsk. Le désaccord serait tout particulièrement patent sur l’établissement d’un contact entre Kiev et les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.
Avec l’Ukraine, le dialogue dans l’"impasse"
Il est pourtant l’un des points clefs du protocole signé en septembre 2014 et que les autorités ukrainiennes n’appliquent toujours pas. Ce refus de Kiev d’engager le dialogue avec les régions en crise "contredit" la logique même du règlement d’un conflit, estime Dimitri Kozak.
"Normalement, quand deux parties veulent vraiment arrêter les hostilités, alors ils se mettent d’accord sur les conditions, les modalités de coexistences", fait remarquer l’homme politique. "Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est justement le contraire." Pour lui, le dialogue serait ainsi dans "une impasse à cause de la position de l’Ukraine".
Autre point qui a visiblement agacé le représentant russe: les demandes de ses homologues français et allemands concernant les "engagements" que Moscou devrait prendre. [48 :08] "Si vous pensez que nous sommes une partie du conflit, quelles sont nos obligations? Quels sont nos engagements? Nous ne savons pas, c’est à la Russie d’inventer ses propres engagements", s’agace-t-il.
"Vous savez, parfois, on ne comprend même pas sur quels documents nos collègues se basent. On leur a demandé à plusieurs reprises “vous avez peut-être d’autres accords de Minsk, vous avez un autre document ou vous voyez des choses entre les lignes, écrites avec du lait par exemple?”", a répondu Dimitri Kozak à une journaliste.
Un dialogue de sourds en somme, où chacun a visiblement campé sur ses positions historiques. Pour autant, Dimitri Kozak accorde à cette "conversation difficile" le mérite d’avoir été "peut-être la première conversation aussi franche". À ses yeux, comme à ceux de ses homologues, il "faut continuer le dialogue"afin de "surmonter ces divergences et ces désaccords" sur l’appréciation des accords de Minsk. Un obstacle à surmonter, faute de quoi la prochaine rencontre à Berlin et celles qui pourraient suivre auront "le même sort assez pitoyable que celle d’aujourd’hui."
Une réunion pour rien?
Un ton qui tranche avec le satisfecit de l’Élysée. "Il est très encourageant que les Russes aient acceptés de ré-entrer dans ce format diplomatique, le seul où les Russes sont parties prenantes", commentait mercredi 26 le Palais, estimant que "cette réunion donnera une indication claire sur l’état d’esprit des Russes, avant l’entretien vendredi entre Emmanuel Macron et le Président russe Vladimir Poutine".
Il faut dire que côté français et allemand, on accuse la Russie d’être à l’origine du blocage du format Normandie. Des allégations qui, fin novembre, avaient fait sortir Moscou de ses gonds. En réponse, la diplomatie russe avait alors publié in extenso ses échanges avec les ministères français et allemand des Affaires étrangères. Ces révélations démontrent que Paris et Berlin refusaient de pousser Kiev à respecter sa part des accords de paix. En l’occurrence, d’établir le dialogue entre Kiev et les régions rebelles.
"C’est à l’Ukraine de comprendre que c’est à elle de régler ce conflit, de mettre fin à cette guerre fratricide", selon Dimitri Kozak.
"Peut-être" une attaque russe "d’ici mi-février"
Parallèlement à cet immobilisme parisien, la diplomatie américaine s’est montrée particulièrement turbulente. Alors même que se tenait à l’Élysée cette réunion pour la paix en Ukraine, ce sont les déclarations de Washington qui ont façonné l’actualité médiatique autour de cette ex-république soviétique.
"Tout indique que le Président russe fera usage de la force militaire à un moment donné, peut-être d’ici mi-février", a notamment déclaré la sous-secrétaire d’État, Wendy Sherman. Même ton du côté de l’ambassade, qui "exhorte" les citoyens américains se trouvant en Ukraine à quitter sans tarder le pays. Des déclarations qui ne s’inscrivent pas vraiment dans la "désescalade" que souhaitaient Paris et Berlin.
C’est également dans le courant de cette journée du 26 janvier que Washington a remis ses réponses écrites aux demandes sécuritaires russes. Une réaction de l’Administration Biden qui offrirait "une voie diplomatique sérieuse si la Russie le souhaite" a commenté Antony Blinken, sans toutefois en livrer le détail à la presse. Dans la foulée, Jens Stoltenberg annonçait que l’Otan remettrait ses propres réponses à Moscou le même jour. Dans un cas comme dans l’autre, la principale demande de Moscou concernant le non-élargissement de l’Alliance atlantique à l’Ukraine a été platement rejetée.
Reste donc à voir ce qu’il adviendra à Berlin dans deux semaines et si, dans ce contexte explosif, cette longue journée parisienne a bien amorcé l’apaisement espéré.