Derrière le retour de Daech en Syrie, la faveur américaine, la main d’Erdogan et l’intérêt kurde?

Les combats font rage entre les Kurdes et les djihadistes de l’État islamique* dans le nord de la Syrie. Bien que représentant toujours une menace, la présence de Daech* permet-elle aux Kurdes et aux Américains de justifier leurs actions? Analyse.
Sputnik
L’EI* n’est pas mort. Après les attentats-suicides, les attaques de troupes syriennes et irakiennes et les nombreux enlèvements, voilà que les combattants de Daech* se sont lancés à l’assaut d’une prison de djihadistes dans la province de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie. Cette région est sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement constituées de Kurdes et soutenues par les forces spéciales occidentales.
Dans la nuit du 20 au 21 janvier, les terroristes ont entrepris une action de grande envergure: la libération du pénitencier de Ghwayran, dans lequel seraient détenus plus de 3.500 djihadistes, dont d’anciens cadres de Daech*. Ils ont forcé l’entrée du bagne avec deux camions kamikazes, coupant de surcroît les routes environnantes pour empêcher l’envoi des renforts. À ce jour, cette spectaculaire offensive aurait fait plus de 200 morts. Sur leur site, les djihadistes revendiquent l’attaque et l’évasion de plus de 800 combattants. Les forces kurdes, aidées par la coalition internationale, tentent de sécuriser la zone, de reprendre contrôle de la prison et de récupérer les prisonniers. Les hélicoptères américains Apache survolent la zone. D’ailleurs, l’Administration d’Hassaké a annoncé l’interdiction des déplacements dans la province pendant sept jours pour empêcher toute infiltration djihadiste. Plus de 45.000 civils ont fui les combats.

Coup de pouce de Washington aux djihadistes?

Les Kurdes ont également accusé la Turquie d’avoir soutenu l’offensive djihadiste. "Les terroristes ont atteint Hassaké depuis les zones frontalières de Ras al-Aïn et Tell Abyad qui sont contrôlées par les troupes turques et les forces de l’opposition", a déclaré le commandement des FDS. Les dirigeants du Rojava syrien alertent la communauté internationale sur le retour en force de Daech*. Autre son de cloche du côté de Damas. Musab al-Halabi, membre du parlement syrien, a pour sa part pointé du doigt la responsabilité de Washington dans cette attaque.
"La résurgence du phénomène djihadiste sert les intérêts des différents belligérants", indique une source militaire française faisant partie de la cellule antiterroriste Syrie-Irak et ayant travaillé au sein de la coalition internationale contre l’État islamique*.
"C’est un coup de projecteur pour les Kurdes, qui veulent éviter à tout prix l’isolement diplomatique. Cette menace djihadiste permet également aux Américains de justifier le maintien de leur présence dans l’Est de la Syrie. La Turquie a, quant à elle, toujours eu un jeu trouble avec les combattants djihadistes", souligne-t-il au micro de Sputnik.
D’une certaine manière, tout le monde y trouverait donc son compte. Les Kurdes s’inquiètent en effet de faire l’objet d’un futur troc entre la Syrie et la Turquie, et ce, alors qu’ils restent profondément attachés à leur projet indépendantiste. Ankara et Moscou demandent aux FDS de rejoindre le giron de Damas. Ainsi en décembre dernier, des pourparlers sur la sécurité d’Idlib et de l’Est de la Syrie auraient eu lieu à Aqaba, en Jordanie, entre officiels turcs et syriens, selon le média Turquie, proche du gouvernement d’Ankara.
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En somme, avec cette récente attaque, les Kurdes auraient donc tout intérêt à surévaluer la menace djihadiste pour conserver le soutien des chancelleries occidentales. Une assistance qui ne serait d’ailleurs pas près de s’estomper. "Ils [les Américains ndlr] ont promis de faire tout ce qu’il faut pour détruire l’État islamique* et de travailler à la construction d’infrastructures dans le nord-est de la Syrie", avait déclaré le 7 octobre Ilham Ahmed, président du comité exécutif du Conseil démocratique syrien, une représentation politique kurde dans le Nord-est syrien.

12.000 djihadistes dans les prisons kurdes

Pourtant, "cette tentative d’évasion de l’EI* ne constitue pas une menace significative", estime le communiqué de la coalition internationale. "Si l’EI* reste une menace, il n’a clairement plus sa force d’autrefois", ajoute-t-elle. Néanmoins, c’est la première fois depuis la défaite territoriale de Daech* en mars 2019 à Baghouz que l’organisation terroriste tente une opération coup de poing d’une telle ampleur. Pourquoi? "L’État islamique* a besoin de combattants", indique notre source:
"On sait que Daech* reste présent dans les villes proches du Tigre et de l’Euphrate. Les islamistes y cachent du matériel d’entraînement, des armes. L’interconnexion entre la Syrie et l’Irak complique la tâche, notamment en raison de la porosité des frontières. On sait que les terroristes circulent facilement d’un pays à l’autre. Au niveau de la Middle East River Valley, le long de l’Euphrate, qui remonte jusqu’à Deir ez-Zor, Daech* arrive à se cacher et reçoit le soutien des tribus locales."
Les terroristes aimeraient refaire "le coup de 2014", c’est-à-dire d’obtenir une assise territoriale, d’où cette volonté de libérer la prison, considère-t-il. D’autant plus que quelque 12.000 terroristes de plus d’une cinquantaine de nationalités seraient toujours détenus dans les prisons kurdes à l’Est de la Syrie. Malgré le manque d’hommes, l’organisation conserve tout de même sa capacité de nuisance. Depuis 2020, les djihadistes ont intensifié leurs opérations, tuant plus de 1.300 soldats de l’armée syrienne, deux membres des forces russes, ainsi que 145 miliciens pro-Iran.
Mais là n’est pas le plus inquiétant, pour le soldat français: à moyen terme, le véritable défi serait, selon lui, les camps de détention et le camp d’Al-Hol, contrôlés avec la plus grande peine par les Kurdes. Ce camp abrite les familles des combattants de l’État islamique* emprisonnés et des déplacés de guerre.
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En effet, s’y entassent pas moins de 40.000 Irakiens et plus de 20.000 Syriens. Depuis 2020, les ONG internationales présentes sur place alertent les autorités sur la dégradation de la sécurité, la multiplication des actes criminels, les incendies suspects de tentes, les agressions de personnels humanitaires et de gardes, les assassinats à l’arme blanche ou au pistolet et même les décapitations. On dénombre plus d’une centaine d’assassinats en moins de deux ans dans le camp. L’ancien de la coalition internationale y voit la responsabilité de l’État islamique*.
"Daech* a la main sur le camp, non pas par le biais des combattants, mais en exploitant la présence des épouses, en achetant la libération de certains détenus, en ayant une politique de natalité très importante."
Finalement, le retour médiatique en force de Daech* ferait le jeu de certains belligérants. Ce ne serait pas pour rien que Damas y voit surtout la tentative des puissances étrangères de justifier le maintien de leur présence et de satisfaire leurs intérêts géopolitiques.
*Organisation terroriste interdite en Russie.
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