Présidentielle française 2022

Successions: Macron est-il vraiment l’ami des héritiers?

Comme avant chaque élection, la question de la hausse ou non des droits de succession refait surface. Si elle est plébiscitée par des économistes au nom de la "justice sociale", le terrain se révèle beaucoup plus glissant pour les candidats. Analyse.
Sputnik
Taxer l’héritage tout au long de la vie? Telle est la proposition d’Ambroise Méjean, délégué général des jeunes avec Macron (JAM). Dans une interview au Figaro, cet ex-militant socialiste de 25 ans, passé par les bancs de HEC, appelle Emmanuel Macron à assumer une "radicalité" en matière de fiscalité.
D’un côté, il propose un allégement de la fiscalité sur les "donations les plus modestes" et celles des grands-parents pour "faciliter les transmissions vers les plus jeunes"; de l’autre, il appelle à alourdir la taxation des successions de plus de 1,8 million d’euros. Toujours au nom de la "justice fiscale", il entend "taxer l’héritage reçu tout au loin de la vie en une fois". Une idée "complètement aberrante", fustige auprès de Sputnik Olivier Bertaux, fiscaliste auprès de Contribuables associés.

"On avait la retraite à points, le permis à points, bientôt on va avoir les successions à points", ironise l’auteur de l’essai "Au nom du fisc: enquête au pays de l’impôt" (Éd. Le Cri, 2009).

Le jeune marcheur n’en est pas à son coup d’essai. Il y a tout juste un an, il proposait déjà d’instaurer une "surtaxe" des gros héritages afin de "mettre fin au déterminisme social". Bien avant lui, Christophe Castaner, alors délégué général de La République en marche (LaREM), lançait en septembre 2018 l’idée de supprimer l’abattement de 100.000 euros sur les successions en ligne directe… avant d’être retoqué par Emmanuel Macron. Pour autant, son successeur à la tête du parti, Stanislas Guerini, ne démord pas de l’idée d’alourdir la fiscalité des héritages.
Un discours qui trahit l’enracinement à gauche de la majorité. Pour rappel, 126 députés sont issus des rangs de la gauche, dont 83 du seul Parti socialiste… c’est trois fois plus d’élus que n’en compte actuellement le PS qui reste à l’origine de l'alourdissement de la fiscalité successorale.

Successions: Macron, une exception au sein de la Macronie?

Un héritage que le chef de l’État peine à dissimuler à l’approche des élections, lui qui, alors ministre de l’Économie, déclarait que "si on a une préférence pour le risque face à la rente, il faut favoriser la taxation sur la succession aux impôts de type ISF".
Mais le sujet s’avère épineux dans la mesure où les droits de succession sont particulièrement mal perçus –et vécus– par les Français. Ils seraient d’ailleurs 81% à souhaiter leur baisse, d’après un sondage OpinionWay-Square pour Les Échos et Radio classique publié le 19 janvier, et ce "quel que soit leur niveau de revenus". Dit autrement, même pour ceux qui ne bénéficient pas d’héritage, cet impôt apparaît plus comme une spoliation que comme une mesure d’équité.

"J’ai hérité de ma marraine et l’État français m’a volé 60% de l’héritage, je trouve ça scandaleux. Quand est-ce que vous allez arrêter ça ?", lançait au chef de l’État une lectrice du Parisien début janvier.

"Il faut plutôt accompagner les gens pour les aider à transmettre les patrimoines modestes", esquive le Président sortant. "Il y a des choses à améliorer", concède-t-il, évoquant un "sujet" sur ce qu’il appellerait la "transmission populaire".
Qu’entend-il exactement par là? Personne ne sait, à commencer par son ministre de l’Économie Bruno Le Maire. "Vous lui poserez la question", rétorque-t-il sur LCI à une Élizabeth Martichoux en quête de précisions. S’il juge le taux de 60% d’imposition en ligne indirecte "quasiment confiscatoire", le patron de Bercy estime en revanche qu’"en ligne directe, la fiscalité reste raisonnable". Pour rappel, celle-ci peut atteindre les 45%.

Face à l’impôt sur l’héritage, une droite toujours plus molle

Bref, du côté de l’exécutif, on verse dans la nuance et le flou, tout l’inverse de la droite où on a historiquement en grippe cet impôt. En finir avec les droits de succession? Une "urgence" et "une nécessité économique", estime Éric Ciotti dans une tribune publiée dans le JDD le 15 janvier dernier.
Le député des Alpes-Maritimes et candidat malheureux à la primaire de la droite souligne qu’au cours des 20 dernières années, 14 pays de l’OCDE ont supprimé cet impôt, au moment même où la France en restait la championne. Et parmi les États européens, l’humeur n’est guère au matraquage fiscal: "L’Italie taxe à 4% à partir de 1 million d’euros, la Pologne à 7%, l’Espagne ne taxe pas avant presque 800.000 euros", insiste-t-il.
Pour autant, derrière les déclarations, lorsque vient le temps des propositions concrètes, même les plus à droite se défaussent. Marine Le Pen recommande une exonération de 300.000 euros sur les biens immobiliers afin de favoriser l’"ancrage". Éric Zemmour quant à lui entend doubler l’actuelle donation de 100.000 euros tous les dix ans, ainsi qu’une suppression totale des frais de transmission des entreprises (déjà défiscalisés à hauteur de 75%). Valérie Pécresse est finalement la plus agressive sur le sujet, suggérant d’accroître le nombre de donations potentielles en diminuant leur espacement de 15 à 6 ans et en facilitant celles en ligne indirecte, jusqu’à présent taxées d’emblée à 60%.
Une perspective alléchante pour les familles proactives sur la préparation de leur succession. Mais rien n’est proposé pour atténuer l’impôt sur l’héritage en lui-même. En définitive, la droite s’avère "très frileuse" sur ce thème, comme le constate également Olivier Bertaux.

"À l’origine, il s’agissait d’un impôt idéologique, qui ne rapportait pas tant de cela. Sauf que maintenant, ses recettes annuelles sont de l’ordre de 15 milliards d’euros. On est loin des rentrées fiscales de la TVA, de l’impôt sur le revenu, mais en période de déficit et de dette abyssale, la droite se dit qu’on ne peut pas se priver de cette somme, par conséquent ils font des mesurettes à la marge."

Une hausse des recettes non pas provoquée par un enrichissement réel des Français, mais par l’envolée de la valeur de leurs biens sur les marchés actions et immobilier. "Les assiettes ont flambé, donc les impôts aussi", insiste Olivier Bertaux, évoquant la débâcle des successions qui se font à cheval sur des épisodes de crise économique.

Frais de succession: "un impôt antifamille"

Rares sont ceux qui sont capables de s’affranchir de leurs droits de succession sans vendre les biens, ce qui engendre des frais et taxes supplémentaires, mais c’est la double peine pour ceux dont l’héritage est évalué avant un retournement de marché. "Ce qu’il faut bien voir, c’est que les droits de succession sont avant tout un impôt antifamille", estime Olivier Bertaux.

"Ce type d’impôt sur le patrimoine ne doit pas s’entendre juste au niveau d’une personne mais d’une famille. C’est un principe immémorial, en règle générale, quand une personne reçoit son patrimoine, elle veut le faire fructifier et le transmettre. Les droits de succession empêchent de considérer le patrimoine au niveau familial car quand on vous en prend la moitié, vous n’arrivez plus à transmettre", développe-t-il.

À gauche, étonnamment, le constat n’est pas si différent. Historiquement opposés à la notion même d’héritage, par égalitarisme, ses candidats ne s’adonnent pas à une surenchère comme on pourrait s’y attendre. Du moins pour l’heure…
Jean-Luc Mélenchon n’entend confisquer "que" les héritages au-dessus de 12 millions d’euros, quant au candidat du Parti communiste Fabien Roussel, celui-ci souhaite supprimer la taxation des héritages sous 118.000 euros, la valeur de l’héritage net moyen selon l’Insee. L’impact d’une telle mesure pourrait toutefois être particulièrement symbolique, en ligne directe, on paie des frais de succession à partir 8.072 euros après l’abattement de 100.000 euros… donc à partir de 118.072 euros.

Un ISF climat pour les Verts?

Anne Hidalgo et Yannick Jadot, eux, ne se sont pas encore positionnés sur la taxation de l’héritage. Si du côté du candidat EELV on montre un goût certain pour la chose fiscale, avec l’intention d’instaurer un "ISF climat", rien de concret n’a été annoncé concernant les successions. Rien… si ce n’est une volonté de réformer le système "afin de prévenir l’extrême concentration des patrimoines chez les plus riches", relate à Capital l’équipe du candidat .
Quant aux socialistes, parents de l’impôt, on plancherait sur une uniformisation à la hausse des taux, quel que soit le lien de parenté (60% au-delà de 1,9 million d’euros). Mesure à laquelle s’ajouterait toutefois un abattement de 300.000 euros "pour tous, quel que soit le lien de parenté entre le donateur/défunt et le donataire/héritier", cite l’hebdomadaire économique, qui reprend une proposition de loi PS rejetée à l’Assemblée. Ce serait trois fois plus qu’actuellement, du moins pour ceux dont les parents se refusent à effectuer une donation de leur vivant.
Un "classique", tacle sèchement Olivier Bertaux, "chez les soixante-huitards qui ont profité et qui ne veulent pas comprendre que le monde change". Une attitude d’"après nous le déluge" qui fait les choux gras du fisc. Les droits de succession rapportent en effet six fois plus aux caisses de l’État que ceux des donations. Il est urgent de favoriser ces dernières, estime notre intervenant, qui plus est dans un pays où l’on assiste à un appauvrissement de la population.
Privilégier la transmission du vivant à travers les donations… soit le même argument de ceux qui veulent la mort de l’héritage, à commencer par les think tanks. Car si le sujet des impôts de succession est un "objet radioactif" pour les politiques, il semble en revanche faire l’unanimité chez les "économistes" des organisations internationales et des "laboratoires d’idées". Au cours de la seule année écoulée, trois rapports (OCDE, commission Tirole-Blanchard et CAE) ont plaidé pour la hausse des impôts de succession, systématiquement au nom de la "justice sociale" et de l’"égalité des chances".

France, toujours plus loin dans l’enfer fiscal?

Pour eux, le constat est toujours le même: les héritages creusent les inégalités au sein de la société et doivent donc être gommés par l’impôt, permettant au passage de renflouer les caisses. Une tendance qui n’est pas nouvelle: fin 2019, en pleine grogne fiscale des Gilets jaunes, le think tank Terra Nova, marqué à gauche, ne trouvait rien de mieux que de suggérer de durcir la taxation sur les successions.
Droits de succession: retour sur un impôt mal aimé des Français
Dans sa note publiée en décembre, le Conseil d’analyse économique (rattaché à Matignon) mettait en garde contre le retour d’une "société d’héritiers" digne de la Belle Époque. Corédigé par des professeurs de la London School of Economics et d’Harvard, rémunérés par l’argent du contribuable français, le rapport proposait notamment de supprimer les avantages fiscaux de l’assurance vie et de la transmission des entreprises (loi Dutreil). Autre mesure avancée: la fameuse taxation de l’héritage, tout au long de la vie, qui fait aujourd’hui florès chez les jeunes marcheurs.
Une "catastrophe" aux yeux d’Olivier Bertaux qui ne cache pas son désarroi face à ces analyses hors sol, qui n’évaluent pas l’impact de leurs recommandations sur l’investissement ou l’émigration des plus fortunés.
Fuir la France? Une "réponse comportementale" que prend justement en compte le CAE. Ce dernier suggère de légiférer afin d’instaurer un système de taxation basé sur la citoyenneté ou la résidence de long terme pour limiter la possibilité des Français à bénéficier des régimes fiscaux d’autres pays en matière de succession. Quant à la forte impopularité de cet impôt dans l’Hexagone (plus forte encore que l’ISF), il ne s’agirait que d’un "déficit majeur d’information" des Français, couplé à une "mauvaise compréhension" de leur part, estime le CAE…
Autant dire que le combat de ceux qui veulent faire baisser la fiscalité sur la succession est loin d’être gagné.
Discuter