Il ne manquait plus que ça au Liban. Voilà que le pays du Cèdre devient peu à peu une plateforme du trafic de drogue à l’échelle de tout le Moyen-Orient.
Le 19 janvier, les autorités égyptiennes ont annoncé avoir saisi 10.000 comprimés de captagon dans les bagages de passagers égyptiens arrivant au Caire depuis Beyrouth. Selon les médias locaux, les agents des douanes ont mis la main sur ces pilules alors qu’elles étaient dissimulées dans des boîtes de vitamines pour enfants.
Connu pour être la drogue du pauvre en raison de son faible coût, ce comprimé n’est rien d’autre qu’un médicament composé d’amphétamines et de caféine. Cette substance a été rendue tristement célèbre pour son utilisation par les combattants djihadistes. En effet, ce stupéfiant permet une meilleure résistance à la fatigue, une vigilance accrue et une perte de jugement moral. Mais elle aurait surtout la vertu "d’enlever le sentiment de peur et les sensations de douleur", nous apprend un ancien lieutenant de l’armée libanaise ayant travaillé contre le trafic de drogue. Autant de caractéristiques qui la rendent utile aux combattants et aux adeptes de l’attaque-suicide ou du massacre d’innocents.
Le Liban et la Syrie visés par l’Onu
Partout dans la région, d’impressionnantes saisies de cette drogue du djihadiste proviennent du pays du Cèdre. Un phénomène qui s’explique en partie par la déliquescence de l’État libanais. "C’est un véritable fléau pour le pays", indique notre source militaire, qui a préféré garder l’anonymat.
"Ce trafic a explosé avec la guerre en Syrie. Des milices, des groupes terroristes, des combattants et même Damas se sont adonnés à ce commerce pour entretenir l’économie de guerre. Et le Liban en a fait les frais avec la porosité des frontières. C’est un trafic difficilement décelable et puis c’est facile de corrompre un douanier qui doit nourrir sa famille", avance-t-il.
En effet, la Syrie et le Liban sont montrés du doigt par l’Office de l’Onu contre la drogue et le crime. "Selon les rapports des États membres des pays d’origine, la majorité des manufactures de captagon semblent être situées au Liban et en Syrie, dans la période de 2015 à 2019",mentionne le rapport 2021 de l’organisation onusienne.
Les saisies de captagon sont à la hausse. Le 6 janvier dernier, les autorités saoudiennes ont annoncé s’être emparées de plus de huit millions de comprimés. Riyad a aussitôt pointé du doigt la responsabilité du Liban et plus particulièrement du Hezbollah, son ennemi régional chiite, dans ce commerce illicite. Ce n’est pas la première fois que l’Arabie saoudite est la destination de ce trafic de drogue. En juin dernier, 4,5 millions de pilules avaient été saisies au port de Djeddah, cachées dans des caisses d’oranges. Quelques jours plus tôt, une cargaison de plus de 14 millions de comprimés de cette amphétamine, cachée entre des plaques de fer, avait également été confisquée. La drogue avait été introduite en contrebande en Arabie saoudite par le port de Djeddah, après avoir transité par celui de Beyrouth.
Le Hezbollah, cultivateur de cannabis?
Pour tenter de limiter ce négoce, les autorités saoudiennes ont interdit l’importation de produits agricoles libanais en avril dernier, stipulant que le Hezbollah (considéré dans le Royaume saoudien comme terroriste) s’adonnait au trafic de drogue dans toute la région.
Des accusations que le parti chiite réfute catégoriquement. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur libanais, Bassam Mawlawi, a affirmé en janvier qu’aucune preuve de l’implication du Hezbollah dans ces trafics de drogue n’avait été produite jusqu’à présent et que les services libanais coopéraient avec leurs homologues étrangers dans ce dossier.
Néanmoins, le doute plane toujours, car la majeure partie des lieux de plantation de cannabis, par exemple, se trouveraient, selon notre interlocuteur et de nombreux témoignages, dans la Bekaa, plaine contrôlée par le parti chiite. Les soupçons vont donc bon train. Pour l’ex-militaire, le Hezbollah aurait des connexions "avec de nombreux cartels à travers le monde".
"Le Hezbollah tisse des liens et ne se limite pas au Moyen-Orient. Son but est de multiplier les sources de financement pour pallier les difficultés dues aux sanctions américaines", poursuit-il.
De l’Afrique de l’ouest à l’Amérique du Sud, le parti de Dieu se servirait des relations avec la diaspora libanaise.
Les Américains ont donc lancé dès 2008 des enquêtes sur une éventuelle implication du parti chiite libanais dans le trafic de drogue. Dans le cadre du projet Cassandra, ils ont conclu que le Hezbollah était implanté dans la zone dite des trois frontières (TBA) qui se situe entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay, et avait participé, avec les cartels locaux, à la mise en place d’un vaste réseau de trafic de cocaïne. Ce document prouverait de surcroît tout le système de blanchiment d’argent de l’organisation libanaise via l’achat et la vente de véhicules au Bénin et en Côte d’Ivoire. Ce commerce illicite aurait permis au Hezbollah de collecter environ un milliard de dollars par an, selon Washington.
Le Hezbollah en mode Pablo Escobar?
L’opération Cedar, lancée en 2016par les Européens, a permis l’arrestation d’une quinzaine de Libanais pour trafic de la cocaïne, dont deux richissimes hommes d’affaires proches du mouvement chiite. Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, avait alors dénoncé une campagne mensongère: "cette question a également été soulevée en France et en tout cas, je tiens à rappeler catégoriquement que ce sont des fabrications et des accusations injustes qui ne reposent sur aucun fait et n’ont aucune vérité", martelait-il en janvier 2018, avant de poursuivre que ces attaques "s’inscrivent dans le contexte de la guerre contre nous".
Quelle que soit la réalité de ces accusations, une chose est sûre, cette longue campagne d’accusation contre le Hezbollah sape bel et bien l’image du parti.