Au Cameroun, "priorité au foot, l’école et le travail peuvent attendre" - photos

Pour en finir avec les tribunes désertes pendant la CAN, Yaoundé a annoncé une mesure forte. Dès le 17 janvier et jusqu’à la fin du tournoi, les élèves et fonctionnaires du pays ont leurs après-midi libérés pour aller voir les matchs. Dans le pays, la mesure est diversement appréciée et certaines voix s’élèvent pour critiquer la démarche.
Sputnik
Dans les allées du bâtiment abritant le siège de la mairie de Douala 5e, ce lundi 17 janvier, il est 14 heures, et de nombreux agents, l’air joyeux, prennent déjà le chemin du retour. Une fin de journée de travail inhabituelle à cette heure, qui fait suite à une mesure spéciale du gouvernement, visant à permettre au public de se rendre dans les stades durant la Coupe d'Afrique des nations (CAN 2021). Aline M., drapé aux couleurs des lions indomptables, entend bien profiter de ce temps de libre pour regarder la rencontre Cap Vert-Cameroun (1-1) dans la fan zone de la ville.
Des agents de la mairie sur le chemin du retour à 14h le lundi 17 janvier

"Je suis heureux de cette mesure du Président de la République. Nous allons pouvoir aller dans les stades et les fans zones pour vivre les matchs. Beaucoup de rencontres se jouent aux heures de services et je pense que cet arrêt de travail va mobiliser les Camerounais", se réjouit l’agent de la mairie au micro de Sputnik.

Le bâtiment de la mairie de Douala 5e décoré aux couleurs de la CAN

Objectif: remplir les stades!

Dans le même arrondissement, au lycée d’Akwa Nord de Bonamoussadi, c’est un silence de cimetière qui accueille le visiteur une fois le portail franchi. Ici, pas l’ombre d’un lycéen et les salles de classe habituellement bondées par les élèves inscrits au cours de l’après-midi sont déjà fermées. À l’ombre d’un arbre, l’agent de sécurité et quelques enseignants visiblement pas pressés de rentrer commentent déjà le prochain match des Lions indomptables qui se joue à 300 km d’ici, dans l’antre du stade Olembe de Yaoundé.

"Les élèves ont été libérés comme prescrit par le gouvernement",lance le vigile avant de regagner son poste près de la barrière.Les cours ont été réorganisés, le proviseur vous l'aurait expliqué, mais il n'est plus là."

Deux élèves flânent à l’extérieur du lycée d’Akwa Nord ce lundi 17 janvier
En effet, face à la désertion des stades depuis le début de cette CAN, le Cameroun a annoncé une nouvelle mesure le 15 janvier: le pays va interrompre l’école et les activités professionnelles plus tôt afin de permettre aux Camerounais de se rendre dans les stades.

"Sur très hautes instructions de Monsieur le Président de la République, le Premier ministre, chef du gouvernement, informe la communauté nationale que, pendant les jours de la tenue des rencontres de la CAN, les activités scolaires et académiques se tiendront de 7h30 à 13h, les activités professionnelles s’étaleront de 7h30 à 14h. Cette mesure s’appliquera dans le secteur public à compter du lundi 17 janvier jusqu’au 4 février", indique le gouvernement dans un communiqué.

"Privilégier la distraction à l’éducation"

À l'exception des matchs des Lions indomptables, jusqu’ici, les stades de la CAN 2021 sont désertés par le public camerounais. Et dans l’opinion de nombreuses raisons sont évoquées pour expliquer cette situation. Si le protocole sanitairedécliné par la Confédération africaine de football (CAF) et le gouvernement camerounais est pointé du doigt - vaccin obligatoire et test - d’autres raisons sont avancées pour expliquer cette faible affluence: les prix des places dans les stades ou encore les heures de programmation des premières rencontres (13h GMT).
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Depuis lors, Yaoundé use de tous les moyens pour tenter de remplir les stades. Ainsi, des bus et autres tickets sont mis gratuitement à la disposition des nombreux fans de foot pour les encourager à aller au stade avec des résultats mitigés jusqu’ici. Si beaucoup espèrent sur cette dernière décision de Paul Biya, pour réussir à faire de cette CAN 2021 une fête populaire, d’autres, à l’instar du député Jean Michel Nintcheu, critiquent la mesure et dénoncent cette démarche qui consiste "à privilégier la distraction à l'éducation et à la performance tant souhaitée de notre administration publique".

"Le football est d'abord un jeu avant d'être un enjeu. L'éducation est un enjeu national et d'avenir. La première leçon à tirer de ce communiqué est que, pour le gouvernement camerounais, le football est au-dessus de l'éducation. Et c'est en cela que cette décision est irresponsable", a écrit le député de l’opposition dans une tribune libre.

Abondant dans le même sens, Armand Noutack, enseignant au lycée classique de Bafoussam dans l’ouest du pays, pense qu’à travers cette mesure, le gouvernement démontre que "la priorité est au football. Et l’école et le travail peuvent attendre".

"Si le gouvernement fait du remplissage des stades sa priorité, on ne peut que constater avec amertume l'impact négatif que cela aura sur nos élèves.L'impact sera visible sur l'évolution des programmes", se désole-t-il au micro de Sputnik.

Cependant dans les établissements scolaires comme au lycée de Bobongo Petit Paris, à Douala, l’administration "s’organise déjà pour baliser les contours des instructions et examiner tous les cas de figure", confie le proviseur André Marie Tchoumi.
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"Les perturbations sont évidentes, notamment la perte de quelques heures de cours en présentiel. Cependant nous allons organiser des cours de rattrapage après la CAN, et même pendant la première semaine des congés de Pâques", explique le chef d’établissement à Sputnik.

Alors que les débats vont bon train sur la pertinence de cette mesure, Yaoundé semble prêt à tout pour faire de cette CAN une réussite. Dans son discours à la nation le 31 décembre, Paul Biya invitait "les Camerounais et les Camerounaises à se mobiliser massivement pour faire de la CAN 2021 la plus belle fête du football jamais organisée sur notre continent".
Cinq fois champion d'Afrique, le Cameroun n'a organisé la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations qu'une seule fois, en 1972. Au-delà de l’aspect sportif, cette CAN, argument de campagne de Paul Biya à la dernière présidentielle, constitue un attrait majeur de son septennat pour tenter de fédérer les Camerounais dans un pays déchiré par de nombreuses crises.
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