Décidément, on n’arrête plus le diplomate Erdogan. Après une surprenante réconciliation avec les Émirats arabes unis en novembre dernier, le début d’un dégel des relations avec Erevan, l’acceptation d’une visite en Arabie saoudite en février prochain pour mettre de côté le sordide assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, voilà que le Président turc souhaite enterrer la hache de guerre avec Israël. "Nous avons des pourparlers avec le Président israélien Herzog. Il pourrait visiter la Turquie. Le Premier ministre Bennett a aussi une approche positive", a déclaré le chef d’État turc.
Ce réchauffement entre les deux pays était prévisible depuis plusieurs mois. En novembre dernier déjà, Ankara avait évoqué un rapprochement "progressif" avec l’État hébreu. Erdogan laissant entendre qu’il pourrait prochainement nommer un futur ambassadeur. D’ailleurs, le Président turc avait même libéré deux Israéliens accusés d’espionnage. "Les désaccords pourront être réduits à leur minimum" à condition d’une "compréhension mutuelle", selon lui.
Même son de cloche du côté israélien. Naftali Benett a quant à lui "salué les lignes de communication entre les deux États qui ont été efficaces et discrètes en temps de crise". Et ce alors que les deux pays n’entretiennent plus de relations diplomatiques officielles depuis le renvoi de leurs ambassadeurs respectifs en 2018 en raison des bombardements israéliens sur Gaza.
"Erdogan, la personnification de la duplicité"
Ainsi, cette volonté de renouer avec son rival s’inscrit-elle dans un climat propice à la diplomatie et aux négociations. Ankara cherche en effet à pacifier ses relations avec son entourage proche. "C’est la realpolitik d’Erdogan à l’état pur", estime Pascal le Pautremat, spécialiste des crises et conflits contemporains.
"Il est prêt à faire certaines concessions ou à témoigner d’une dynamique diplomatique pour servir ses intérêts. C’est une démarche louable et Erdogan ne veut surtout pas être isolé régionalement", souligne le géopolitologueau micro de Sputnik.
En effet, plusieurs pays arabes, dont les Émirats arabes unis et Bahreïn se sont récemment rapprochés de l’État hébreu. Ankara ne souhaiterait donc pas rester à l’écart de cette nouvelle tendance géopolitique.
Mais c’est avant tout le business qui dicterait ce rapprochement. "Notre ministre de l’Énergie de l’époque, Berat Albayrak, était en pourparlers avec Israël pour acheminer le gaz [de la Méditerranée, ndlr] vers l’Europe via la Turquie. Nous pouvons réaliser ceci maintenant", adéclaré Recep Tayyip Erdogan. Les deux pays sont en effet tentés par cette coopération. Seule ombre au tableau, Tel-Aviv était également en lien avec Chypre et la Grèce pour le gazoduc East Med, destiné à approvisionner l’Europe. Mais c’était sans compter le revirement opéré par Washington. Dans une note diplomatique, les États-Unis ont annoncé à Athènes ne plus soutenir ce projet, officiellement en raison de sa viabilité économique incertaine.
Une aubaine qui fait les beaux jours d’Ankara. "Je pense que les États-Unis se sont retirés après avoir fait des analyses financières et constaté qu’il n’y avait aucun bénéfice à en tirer", a estimé le chef de l’État turc. Donc un nouveau projet entre l’État hébreu et la Turquie pourrait ainsi prochainement voir le jour.
"Ce rapprochement répond à un intérêt d’ordre économique évident pour la Turquie. Ankara rêve de devenir un hub énergétique régional et les difficultés internes le poussent à revoir sa politique étrangère", résume le géopolitologue.
En effet, la Turquie subit depuis plusieurs mois une inflation galopante, entraînant une paupérisation de la société civile et des mouvements de contestation apparaissent dans tout le pays. Erdogan est en perte de vitesse dans les sondages et "il a également en ligne de mire les échéances électorales de 2023", précise Pascal le Pautremat.
Mais ce début de réchauffement reste néanmoins dépendant de la question palestinienne. "Erdogan est la personnification de la duplicité, il joue sur plusieurs tableaux", estime le conférencier. Même si la Turquie a été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1948, au gré des conjonctures, le pouvoir central a émis certaines réserves. Une tendance qui s’est confirmée avec l’arrivée du parti d’Erdogan à la tête du pays en 2003.
Choix cornélien: commerce ou cause palestinienne?
Une fois que Tsahal entre en guerre contre la bande de Gaza, Ankara s’empresse toujours d’apporter son soutien à la cause palestinienne. Comme en mai dernier, lors du conflit express entre l’armée israélienne et le Hamas. Erdogan n’avait alors pas hésité à qualifier Israël d’État "terroriste cruel". Allant encore plus loin, Fahrettin Altun, chef de la communication de la présidence turque, avait quant à lui ouvertement appelé à attaquer l’État hébreu: "Nous lançons un appel au monde musulman: il est temps de dire stop aux attaques lâches et tyranniques d’Israël […]. Que l’enfer brûle pour les tyrans."
De surcroît, Ankara condamne fermement la politique expansionniste israélienne dans les territoires occupés. "Nous devons mettre un terme aux politiques israéliennes de colonisation illégale, de destruction, de déplacement forcé et d’évacuation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie", martelait encore le chef d’État turc en novembre dernier.
Un positionnement non dénué de réalisme géopolitique, car
"Erdogan comprend l’enjeu de la cause palestinienne et son attrait auprès de la population arabe et musulmane."
Malgré les brouilles passagères, les deux pays n’ont jamais coupé leurs liens économiques. Les exportations turques en direction d’Israël représentaient environ 600 millions de dollars en novembre dernier. "En tant que politiciens, nous ne devrions pas être là pour nous battre, mais pour la paix", a assuré le Président turc le 18 janvier dernier.
Sur le dossier israélo-palestinien, le Président turc semble plus que jamais marcher sur des œufs.