Signé il y a un an, un accord global pour une durée d’un quart de siècle ans vient d’être solennellement mis sur les rails par les diplomaties chinoise et iranienne. Chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran, Thierry Coville voit notamment dans la stratégie sino-iranienne de coopération une volonté de s’affranchir du joug imposé par les États-Unis: "Il y a quelque chose qui est en préparation face à cette façon américaine de sanctionner les échanges en dollars."
Cette entente porte sur des échanges évalués à 400 milliards de dollars. Elle garantit l'interaction économique et culturelle et inclut l'Iran dans l'initiative chinoise des nouvelles routes de la soie: la Ceinture et la Route. Laquelle porte sur des milliers de milliards de dollars. À travers ce projet, la Chine ambitionne de construire un vaste réseau d'infrastructures depuis l'Asie de l'Est jusqu’en Europe.
Le dollar évincé par le yuan
Peu de détails ont fuité sur les termes de cet accord. Mais le principe semble simple: Téhéran assure à Pékin un approvisionnement à bas prix en hydrocarbures. Et ce en échange d’importants investissements dans les domaines de l'énergie, de la sécurité, des infrastructures et des communications, sans oublier une coopération militaire. Ainsi, 280 milliards devraient être déversés dans les industries pétrolières et gazières iraniennes, et 120 milliards seront consacrés aux divers projets d’infrastructures, selon le Centre de recherche sur la mondialisation.
Cette démarche dépasse toutefois la dimension économique. Les deux pays étant sous sanctions américaines, il démontre que l’extraterritorialité du droit américain, qui empêche les pays sanctionnés de commercer en dollars, n’est pas l’horizon indépassable du commerce international:
"Dans le cadre de cet accord existe un système de troc: l’Iran a un compte en yuans en Chine et leurs exportations se font en yuans. Le problème, c’est que maintenant l’Iran doit payer en yuans pour importer des produits chinois, mais il s’émancipe du diktat du dollar", explique au micro de Sputnik Thierry Coville.
Pour rappel, en 2018, les États-Unis se sont retirés de l’accord sur le nucléaire iranien, rétablissant les sanctions américaines contre les mollahs: un embargo sur les produits pétroliers, sur le secteur aéronautique et minier, et surtout l’interdiction d'utiliser le billet vert dans les transactions commerciales avec Téhéran. Une situation paralysante pour n’importe quelle économie tant le dollar est la devise de référence dans les échanges internationaux, du fait de sa place en tant que monnaie de réserve internationale dominante. Les Européens avaient tenté de contourner ces sanctions par un système de troc nommé Instex. Sans succès.
La politique américaine de pression n’est pas sans limites
En utilisant le yuan, et en se reposant sur la force de frappe économique de la Chine, l’Iran peut ainsi commercer avec un autre pays sans que ce dernier ne fasse l’objet de sanctions dissuasives par Washington. Une petite révolution en soi, qui pourrait servir de précédent pour de nombreux pays sanctionnés par les USA: Cuba, le Venezuela, la Syrie et bien d’autres.
"Pour l’instant, on n’en est pas encore à abandonner le dollar", tempère le chercheur. "Néanmoins, cette façon de faire est très clairement liée aux sanctions américaines et à l’embargo sur le dollar."
En effet, les discussions liées à cet accord existaient déjà avant le rétablissement des sanctions américaines en 2018. "La visite du Président Xi Jinping en 2016 en Iran précède la sortie américaine de l’accord sur le nucléaire iranien", rappelle Thierry Coville. Néanmoins, "ce qui est sûr, surtout pour le gouvernement conservateur iranien, c’est que, avec toutes les tensions qu’il y a eu depuis la sortie unilatérale des États-Unis de l’accord et la mise en place de la stratégie de pression maximale, c’est que l’intérêt de cet accord est surmultiplié pour l’Iran." Washington ayant ainsi littéralement poussé Téhéran dans les bras de Pékin, selon notre interlocuteur.
De là à faire de l’Iran un pays dépendant de la Chine, et donc sous tutelle chinoise? Cette idée "fait un peu rire" Thierry Coville.
"Je n’y crois pas du tout. Le gouvernement des shahs [précédant l'élection du premier Président de la République islamique d'Iran en 1980, nldr] était sous tutelle. Pour les mollahs c’est tout le contraire."
Une lettre énigmatique d’Ebrahim Raïssi vient également d’être remise à Xi Jinping. Elle contient un "message important", assurent des sources diplomatiques iraniennes. Là aussi, peu de détails ont filtré. Cependant, Téhéran a souligné à plusieurs reprises l'importance d'une politique étrangère "centrée sur l'Asie" et dans laquelle la Chine joue un rôle significatif. Un positionnement résumé au micro d’Al Jazeera par Hamed Mousavi, professeur de science politique à l’université de Téhéran: avec cet accord, "l’Iran signale aux États-Unis que plus ces derniers leur mettront de pression, plus ils se tourneront vers l’est". Et ce au détriment du dollar.