C’est un fait, le niveau de corruption en Côte d’Ivoire est particulièrement préoccupant. Lors de son traditionnel discours à la nation du 31 décembre dernier, le Président Alassane Ouattara a présenté la lutte contre ce fléau et la promotion de la bonne gouvernance comme l’une de ses trois grandes priorités pour 2022. Les deux autres étant la transformation de l’économie ivoirienne et l'emploi des jeunes et des femmes.
Depuis juin 2021, les autorités ivoiriennes ont accentué une vaste campagne d’audit d’entreprises publiques qui a déjà débouché sur la suspension ou le limogeage de certains dirigeants. Ces contrôles et audits, a assuré le 5 janvier à l’occasion du premier conseil des ministres de l'année le chef du gouvernement Patrick Achi, "seront amplifiés en 2022 et leurs conclusions mises en œuvre".
La détermination affichée par les autorités ivoiriennes est globalement bien accueillie par l’opinion publique et les organisations de lutte contre la corruption qui espèrent toutefois des poursuites judiciaires pour tous les mis en cause.
"Cette opération d’audit menée par le gouvernement va dans le sens des valeurs de transparence et de bonne gouvernance des affaires publiques que prône notre organisation. Nous voudrions [cependant, ndlr], encourager les autorités à ne pas s’arrêter seulement à des sanctions disciplinaires. Il faudrait aller plus loin pour donner un coup de fouet à la lutte contre la corruption tout en évitant aux personnalités fautives l’impunité par la stratégie de changements de postes, comme c’est parfois le cas", a déclaré Joël Constant Yoboué, secrétaire général de Social Justice, le représentant local de Transparency International, la principale ONG de lutte contre la corruption dans le monde, interrogé par Sputnik.
En effet, estime Joël Constant Yoboué, en procédant à ces changements de postes comme sanction, "l’on ne donne pas un signal fort à la lutte contre la corruption et cela pourrait être interprété par l’opinion publique comme une faible voire une absence d’engagement du gouvernement" dans la lutte contre ce fléau. "Il faudrait, conformément aux textes en vigueur, que des sanctions pénales soient prises à l’encontre des citoyens qui utilisent à des fins personnelles les deniers de l’État. Par ailleurs, il convient d’exiger à ces derniers de rembourser [ce qui a été perçu indûment, ndlr]", a-t-il poursuivi.
Des pertes économiques colossales
Selon le World Justice Project, en termes de corruption dans le monde, la Côte d’Ivoire occupe en 2021 le 113e rang sur 139 pays classés.
Et comme l’a indiqué en décembre dernier Épiphane Zoro-Bi Ballo, ministre de la Promotion de la bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption, s’appuyant sur les derniers rapports de Transparency International et de la Banque mondiale, "la corruption fait perdre chaque année à la Côte d’Ivoire 1.000 milliards 300 millions de francs CFA, soit trois à quatre fois l’aide publique au développement".
Il ressort d'une analyse de l’ONG Social Justice que "ce montant perdu chaque année du fait de la corruption aurait pu servir à construire environ 267 lycées et collèges, 25 centres hospitaliers universitaires, et financer environ 13 projets de renforcement de l’adduction en eau potable".
Un arsenal juridique à l’impact encore limité
Dans sa lutte contre la corruption, l’État ivoirien s’est doté cette dernière décennie d’une batterie d’instruments juridiques et institutionnels dont fait partie la Haute autorité pour la bonne gouvernance créée en 2013. Et plus récemment, un pôle pénal économique et financier et un ministère de la Promotion de la bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption ont respectivement vu le jour en 2020 et 2021. Cependant, l’impact de tout cet arsenal reste encore limité, au vu de l’ampleur de la situation.
"Toutes ces actions du gouvernement sont à féliciter. Cela dit, s’il est vrai qu’il faut faire preuve d’imagination, à la suite d’un vrai diagnostic, pour mettre en place des actions concrètes complémentaires aux initiatives existantes, pour nous, le vrai défi reste l’application des textes, ainsi que les sanctions. C’est en cela que l’on peut mesurer la volonté politique et l’engagement à lutter contre la corruption", a conclu Joël Constant Yoboué.