Beaucoup parmi les premiers migrants ayant peuplé les premières colonies aux États-Unis étaient porteurs d’idées politiques socialistes, espérant fonder un "Nouveau Monde".
Ainsi, comment se fait-il que ce soient les idées capitalistes et plus tard néolibérales qui l’aient emporté aux États-Unis? Par quel mécanisme le patronat et les grosses fortunes se sont-ils imposés dans le pays pour prendre le contrôle des rouages du pouvoir?
Par ailleurs, dans le sillage de l’émergence de l’idéologie néolibérale, comment sont apparues les théories managériales du leader et du leadership? Comment a-t-on réussi à faire accepter aux ouvriers et aux employés des entreprises le pouvoir absolu exercé par les dirigeants-leaders, considérés comme des personnes au-dessus de la condition humaine?
Dans ce 28e cours "d’Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC au Québec, explique la dynamique historique ayant mené à la mise à l’écart des idées socialistes aux États-Unis, précisant que "l’étendue du pouvoir de l’argent sur tous les aspects de la vie provient de la dimension +transcendantale+ et quasiment surhumaine accordée d’une manière arbitraire aux détenteurs de capitaux et aux leaders d’entreprise".
Aux origines des notions de leader et de leadership
"Il est à constater, avant tout, que l’archéologie des notions de leader et de leadership remonte à la recherche opérée par les juristes des rois anglais [notamment sous les Tudor au XIVe siècle, ndlr] afin de doter les souverains britanniques d’une dimension transcendantale dont ils étaient dépourvus", expose le Pr Aktouf.
Et d’expliquer que cette "dimension transcendantale, c’est-à-dire suprahumaine, était nécessaire pour rendre tout pouvoir absolu acceptable. Sans cette dimension qui confère au détenteur de toute forme de pouvoir absolu une aura qui le met au-dessus de la condition humaine, il devient aux yeux de ses sujets un despote brutal, devant recourir à la cruauté et à la violence comme uniques façons de s’imposer".
Dans le même sens, il souligne que c’est cette dimension qui explique "la différence entre les monarchies anglaises et dynasties dotées de cette aura, comme en France où les rois l’étaient de +droit divin+ [depuis au moins le XIIIe siècle avant les Tudor, ndlr]. À ce titre, l’histoire du Royaume-Uni n’a été que terribles guerres, sang et cruauté, sur fond d’une situation politique où le pouvoir central de Londres n’a jamais réussi à asseoir sa légitimité".
Quelle relation avec la déconstruction de la notion de leadership?
Pour Omar Aktouf, cette dimension historique est cruciale à plus d’un titre. En effet, selon lui, "l’institution pour laquelle fut fabriqué le concept de leadership, l’entreprise industrielle, est née en Angleterre pour ensuite se développer et élaborer ses doctrines et théories en Amérique du Nord".
Il estime que "c’était le redoutable problème auquel était affrontée la nouvelle aristocratie de propriété privée et d’argent qui voulait s’y constituer et se doter de pouvoirs absolus et de privilèges comme l’ancienne noblesse".
"Dès lors, il a fallu inventer une raison pour que, à elles seules, propriété privée et possession d’argent justifient des pouvoirs totaux et indiscutables qui fut ledit +leadership+ fabriqué de toutes pièces", conclut-il.