Cours d'Anti-néolibéralisme
Avec l’aide de l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, Sputnik entame une série d’émissions dans le but d’expliquer les fondements de ce néolibéralisme qui génèrent les crises répétitives.

"Commander ne devient réalité qu’au prix d’un don de soi pour la cause commune"

"La figure du leader visionnaire, héroïque et doté de qualités surhumaines trouve son origine dans les mythes fondateurs du management contemporain néolibéral", avance auprès de Sputnik le Pr Omar Aktouf, dans ce 29e cours d’"Anti-néolibéralisme", ajoutant que les qualités octroyées aux leaders relèvent de simples fictions mythologiques.
Sputnik
Pour quelle raison les librairies regorgent-elles de livres et d’articles sur le leadership et les leaders visionnaires? Pourquoi les écoles de gestion et de management font-ils de sa figure le principal objectif pédagogique des enseignements destinés aux MBA (Master of Business Administration) à l’américaine, en lui reconnaissant des qualités quasi surhumaines?
Dans ce 29e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC au Québec, explique auprès de Sputnik que la raison principale tient au fait que "le leader, dirigeant d’entreprise ou détenteur de capitaux, est l’équivalent moderne du héros de la mythologie".

Le mythe du leader, l’origine de toutes les dérives?

"La figure du leader visionnaire, héroïque et doté de qualités surhumaines trouve son origine dans les mythes fondateurs du management contemporain néolibéral", indique le Pr Aktouf, précisant que "le leader tire sa reconnaissance des représentations et croyances du groupe".
Et d’ajouter qu’en général, comme l’enseignent la majorité des écoles de gestion formant les MBA futurs dirigeants des entreprises, "le leader est doté de grandes qualités et capacités de guide, capable de générer les valeurs de l’entreprise, de fédérateur, de visionnaire et de stratège". Ainsi, selon lui, "cette représentation est un mythe, une figure universelle et un idéal collectif, faisant du dirigeant un héros hors normes du monde de l’entreprise".
Dans le même sens, le Pr Aktouf avertit que "tant que cette représentation mythologique du chef d’entreprise demeure le leitmotiv des organisations, les dérives, les excès et les échecs seront inéluctables, du fait qu’on attribue la réussite ou la faillite à l’efficacité ou non du leadership, écartant toute démarche rationnelle d’analyse des dysfonctionnements dans la gestion". En effet, selon lui, "le maintien de ce genre de mythe social au sein des entreprises, auquel les membres de l’organisation participent inconsciemment à cette vision héroïque du leadership, subordonnera la performance organisationnelle à l’impératif de l’avènement de ce surhomme".

Différence entre leadership et commandement

L’histoire humaine compte certainement plusieurs figures ayant laissé des marques de grands chefs meneurs d’hommes, "à l’instar d’Alexandre le Grand ou de Napoléon Bonaparte", poursuit l’interlocuteur de Sputnik, précisant néanmoins qu’il y a "une différence de taille avec le leader".
Et d’expliquer que "le commandement exercé par un chef est généralement acquis et gagné, comme dans le cas d’Alexandre le Grand ou de Napoléon Bonaparte, au prix de sacrifices réels consentis de la même façon que les personnes commandées, ce qui fait que le chef s’impose par ses qualités humaines et ses succès. Ce qui n’est pas le cas pour le leader qui émerge grâce aux croyances mythologiques des membres de l’organisation qui acceptent d’y adhérer".
Or, tout comme un chef de guerre, rationnellement, "le leader ne peut exister sans l’entreprise qu’il dirige. Ceci dit que l’universalité décontextualisée de la réalité de l’entreprise, due à ses qualités surhumaines, attribuée par les penseurs du management néolibéral au leader est une notion superflue et complètement fallacieuse", expose le Pr Aktouf.
"Commander en suscitant l’adhésion des subordonnés ne devient réalité qu’au prix d’un abandon et d’un don de soi pour la cause commune", conclut-il, ajoutant que "c’est plus d’opportunisme qu’il s’agit dans cette notion de leadership et de leader où les managers donnent l’impression voir l’illusion de supporter les difficultés au travers d’un sacrifice apparent de soi".
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